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CHAPITRE XXXI.

Caractères sentent un peu l’école. Il est à regretter que Théophraste n’ait pas cherché davantage cet agrément de la variété, qui doublerait non pas la valeur réelle mais le charme des portraits. Mais ce défaut était bien plus léger aux yeux des Grecs qu’aux nôtres :

« Cet ouvrage, dit la Bruyère, a toujours été lu comme un chef-d’œuvre dans son genre. Il ne se voit rien où le goût attique se fasse mieux remarquer, et où l’élégance grecque éclate davantage. On l’a appelé un livre d’or. Les savants, faisant attention à la diversité des mœurs qui y sont traitées, et à la manière naïve dont tous les caractères y sont exprimés, et la comparant d’ailleurs avec celle du poëte Ménandre, disciple de Théophraste, ne peuvent s’empêcher de reconnaître, dans ce petit ouvrage, la première source de tout le comique ; je dis de celui qui est épuré des pointes, des obscénités, des équivoques, qui est pris dans la nature, qui fait rire les sages et les vertueux. »

La Bruyère, comme presque tous le traducteurs, surfait un peu l’original sur lequel il a travaillé. Sa copie, hélas ! ne donne pas beaucoup l’idée d’un chef-d’œuvre, surtout d’un chef-d’œuvre de bon comique. Mais il ne faut pas juger des Caractères d’après la traduction de la Bruyère. La Bruyère traduisait sur un texte fautif et très-incomplet. Il y a des portions de caractères, et même deux caractères entiers, qu’on a retrouvés depuis, dans des manuscrits inconnus des premiers éditeurs. Il faut dire aussi que la Bruyère n’a pas même traduit l’ancien texte avec beaucoup d’exactitude, et qu’en reproduisant la pensée d’autrui, il n’a presque rien de cette verve, de cette spirituelle vivacité, de cette énergie et de cet éclat avec lequel il exprime ses propres pensées. Je vais donner la traduction à peu près exacte d’un des caractères dont le texte diffère le plus de celui que la Bruyère avait sous les yeux. C’est le vingt-sixième, intitulé de l’Oligarchie. Après avoir défini ce qu’il entend par là, Théophaste parle comme il suit de l’amateur d’oligarchie, autrement dit de l’antidémocrate :

« Quand le peuple se dispose à adjoindre à l’archonte quelques citoyens, pour l’aider de leurs soins dans la conduite