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CHAPITRE XXXI.

le philosophe, bon gré mal gré, à se dérider quelque peu, et à égayer, ou, si l’on veut, à éclairer la discussion par des exemples empruntés à l’histoire, par des esquisses de mœurs ou de caractères. La Politique s’adressait aux hommes d’État et aux penseurs de tous les pays et de toutes les écoles. Mais la plupart des autres grands ouvrages d’Aristote semblent n’avoir été écrits que pour l’usage particulier des disciples du Lycée. Ce sont les résumés des leçons que le philosophe leur faisait deux fois par jour, en se promenant à l’ombre des arbres. Ce sont ces fameux traités acroatiques ou acroamatiques, dont le nom même indique la destination spéciale, car le mot άκρόαμα signifie leçon, et qui ne furent connus du vulgaire que longtemps après la mort d’Aristote. Tels sont, par excellence, la Physique, la Métaphysique, les traités de logique qui forment ce qu’on appelle l’Organon. La Rhétorique elle-même avait besoin du commentaire du maître. Les seuls initiés y pouvaient trouver plaisir sans trop de labeur. Il y a, dans ce livre, beaucoup de choses sèches, subtiles, sans application pratique. Ce sont trop souvent des curiosités de psychologue ou même de sophiste. Fénelon n’a pas tort de dire que l’ouvrage d’Aristote sert bien plus à faire remarquer les règles de l’art à ceux qui sont déjà éloquents, qu’à inspirer l’éloquence et à former de vraie orateurs. Mais Aristote entendait faire sans doute une sorte de philosophie de l’éloquence, et non pas un manuel d’invention oratoire à l’usage des apprentis Périclès.

Je ne dis rien de la Poétique, qui n’est qu’un informe lambeau d’un ouvrage perdu, ou que l’ébauche d’un ouvrage inachevé. Ce petit livre, infiniment trop célèbre, est précieux pour les renseignements qu’il fournit à l’histoire ; mais il est plein de théories hasardées, et il prouve qu’Aristote s’entendait mieux à composer de beaux vers qu’à définir l’essence de la poésie, ou qu’à régler les lois des genres littéraires. Il suffit, pour sentir toute la fausseté et tout le néant de ce prétendu code, de relire le Phèdre et l’Ion. Je ne crois pas qu’il y ait rien de plus étrange, dans les fastes de l’esprit humain, que la fortune de cette Poétique, s’imposant au monde dans le temps même où la philosophie d’Aristote perdait toute au-