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PLATON.

jugez maintenant lequel est le plus heureux. » Un peu plus loin, Platon complète ainsi le dernier portrait : « Ce juste, tel que je l’ai dépeint, on le fouettera, on le mettra à la torture, on le chargera de chaînes, on lui brûlera les deux yeux ; enfin, après qu’il aura enduré mille maux, on l’attachera sur une croix, et on lui fera sentir qu’il ne faut pas s’embarrasser d’être juste, mais de le paraître. »

Platon, dans le Gorgias, avait posé d’une main ferme et sévère les principes de cette austère et sublime morale. Quel malheur qu’il ait construit pour des demi-dieux, et non pour des êtres humains, sa cité imaginaire, et qu’il ait mêlé aux vérités les plus hautes et les plus fécondes de graves et funestes erreurs ! Sans doute Platon a réduit, dans les Lois, l’idéal de l’État à des proportions moins fantastiques et plus réalisables en ce monde, et il s’y est montré plus constamment fidèle à ses propres principes ; mais je ne puis m’empêcher de regretter que le plus grand des moralistes et des politiques ait mérité une fois d’être nommé le plus grand des utopistes.


Diversité infinie de l’œuvre de Platon.


Je n’ai rien dit des mythes de Platon, de ces récits allégoriques où le philosophe a su rendre sensible aux yeux ce qui échappait aux prises mêmes de sa dialectique subtile : vérités de sentiment, rêveries, probabilités, surtout les merveilles du monde intelligible. Je n’ai pas parlé des préambules de quelques dialogues, de ceux du Phèdre par exemple et de la République, qui sont des modèles du genre, jusqu’à présent incomparables. J’ai oublié de mentionner ces histoires ou ces contes, que Platon contait si bien, tels que le récit de l’invention des caractères d’écriture, ou celui des aventures de Gygès. Après avoir consacré tant de pages à Platon, je m’aperçois que j’aurais encore presque tout à dire ; et pourtant je suis contraint de m’arrêter. Je devrais montrer Platon établissant, dès ses débuts, les principes éternels et immuables de l’esthétique, comme on la nomme, en même temps que ceux de la morale, et préludant par les brillantes images du