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CHAPITRE XXX.

nesse. Rien ne saurait donner l’idée de cette admirable apologie, aussi piquante et originale dans la forme, que satisfaisante et complète au fond. C’est Alcibiade qui s’est chargé de tracer le portrait de son maître. Il vient d’entrer dans la salle du festin avec quelques joyeux compagnons, dans l’équipage d’un homme qui a déjà fait bombance. Il est ivre ; et il débite, avec la verve et la vérité du vin, tout ce qu’il sait de Socrate, tout ce qu’il a vu de lui, tout ce qu’il a contre lui sur le cœur. Je ne puis mieux faire que de citer quelques traits du début de sa bouffonne et sérieuse harangue : « Je soutiens que Socrate ressemble tout à fait à ces Silènes qu’on voit exposés dans les ateliers des statuaires, et que les artistes représentent avec des pipeaux ou une flûte à la main : séparez les deux pièces dont ces Silènes se composent, et vous verrez dedans la figure sainte de quelque divinité. Je soutiens ensuite qu’il ressemble au satyre Marsyas. Quant à l’extérieur, toi-même, Socrate, tu ne pourrais contester l’exactitude de mes comparaisons ; et quant au reste, elles ne sont pas moins justes : en voici la preuve. Es-tu, oui ou non, un railleur effronté ? Si tu le nies, je produirai des témoins. N’es-tu pas aussi un joueur de flûte, et bien plus merveilleux que Marsyas ? Il charmait les hommes par la puissance des sons que sa bouche tirait des instruments… La seule différence qu’il y ait entre toi et lui, c’est que, sans instruments, et simplement avec tes discours, tu produis les mêmes effets. » Suit le tableau des prestiges de cet homme divin, et le récit de ses relations avec Alcibiade à Athènes, à l’expédition militaire de Potidée, à la déroute de Délium. Puis le harangueur revient à sa première idée, et il compare non plus Socrate, mais les discours de Socrate, aux Silènes qui s’ouvrent : « Malgré le désir qu’on a d’entendre parler Socrate, ce qu’il dit paraît, au premier abord, parfaitement grotesque. Les mots et les expressions qui revêtent extérieurement sa pensée sont comme la peau d’un outrageux satyre. Il vous parle d’ânes bâtés, de forgerons, de cordonniers, de corroyeurs, et on le voit disant toujours les mêmes choses dans les mêmes termes ; de sorte qu’il n’est pas d’ignorant ni de sot qui ne soit prêt à se moquer de ses paroles. Mais qu’on ouvre ses discours,