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CHAPITRE XXX.

âmes irréfléchies. Ce sont bien là ces hommes spirituels et éloquents que les jeunes gens, comme dit Platon lui-même, portaient en triomphe sur leurs têtes. Et chacun d’eux a non-seulement les doctrines qui lui étaient propres, mais les tours qu’il affectionnait, mais les ornements accoutumés de son style, mais sa diction même. Non pas que Platon se soit amusé à faire des pastiches : il n’a retenu des fleurs sophistiques que celles dont le bon goût pouvait le moins s’offenser ; mais elles sont encore d’un parfum assez décidé pour que nul ne puisse contester leur provenance. D’ailleurs Gorgias ne ressemble point à Protagoras, ni Protagoras à Hippias, ni Hippias aux autres. Autant de sophistes, autant d’hommes, autant de types divers. Ils n’ont de commun entre eux que l’esprit d’erreur, et que leur échec dans la lutte contre Socrate. Je me trompe ; il n’en est pas un seul qu’on soit tenté de plaindre. Car ils sont fort plaisants, mais, comme ce personnage de notre théâtre, sans se douter de l’être ; et c’est là ce qui les rend plus plaisants encore. Le Gorgias, où Socrate défait successivement Gorgias, Polus et Calliclès, à propos de la rhétorique, et le Protagoras, où, à propos de la question si la vertu peut s’enseigner, il défait Protagoras, Hippias et Prodicus, sont les plus admirables des dialogues comiques de Platon.


Le Banquet.


Mais c’est dans les dialogues simplement gais ou sérieux, dans ceux où les personnages sont des amis passant quelques instants de loisir à deviser ensemble, que se trouvent les œuvres les plus étonnantes de Platon, sinon comme poëte dramatique, au moins comme écrivain, comme homme éloquent, comme poëte inspiré. Encore le Banquet l’emporta-t-il même sur le Gorgias et le Protagoras par la vive peinture des caractères, comme il l’emporte sur tous les autres dialogues de Platon par le mouvement, par la variété infinie, par la progression continue, par cette harmonie formée de tous les tons imaginables, par ce style composé de tous les styles, où l’on passe sans effort du comique, du plaisant et du grotesque même au sublime le plus élevé qu’ait jamais atteint l’intel-