Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/394

Cette page a été validée par deux contributeurs.
382
CHAPITRE XXIX.

moi blâment les sophistes du jour, mais non pas les philosophes, de mettre toute leur industrie aux mots et de négliger les choses. Je sais que leurs écrits sont bien composés, et avec méthode : aussi n’auront-ils pas de peine à reprendre sur-le-champ ce qui est défectueux en moi. Au reste, j’écris pour être vrai, non pour faire des sophistes mais des sages et des gens de bien. Je veux que mes ouvrages soient utiles, et non pas seulement qu’ils le paraissent ; car je veux que nul n’en puisse jamais renverser les principes. Les sophistes, au contraire, ne parlent et n’écrivent que pour tromper et pour s’enrichir ; et ils ne sont à personne d’aucune utilité. Car il n’y eut jamais et n’y a pas maintenant un seul sage parmi eux : ce leur est bien assez qu’on les nomme sophistes ; titre flétrissant, aux yeux du moins des hommes d’un sens raisonnable. »

Le style de Xénophon n’a rien d’artificiel comme celui des sophistes, ni même d’artistement travaillé comme celui de Thucydide. Non pas qu’il soit absolument sans art ; mais l’art n’y est qu’à l’état latent, si je l’ose dire. L’écrivain ne vise point à l’effet : il s’applique uniquement à exposer avec netteté sa pensée, à la montrer tout entière, à en bien délimiter la portée et l’étendue. L’art de Xénophon consiste à tout dire, et non pas à rien faire deviner ; à suivre exactement les déductions, et non pas à surprendre l’assentiment ; à choisir les tours et les expressions les plus naturels, et non pas les plus saisissants ; enfin à placer les termes, non point en raison de leur valeur pittoresque et musicale, mais là où les appellent l’usage commun et le génie de la langue.


Ouvrages de Xénophon.


Je ne saurais trop féliciter Xénophon d’avoir si bien eu conscience de la nature de son talent, et de s’être volontairement réduit au rôle d’écrivain pratique. Ses plus médiocres ouvrages, ceux où il est tombé souvent au-dessous de lui-même, l’Apologie de Socrate par exemple, et l’Éloge d’Agésilas, sont ceux précisément où il a voulu prendre quelquefois un ton plus élevé et atteindre à la dignité oratoire. Mais,