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LA POÉSIE GRECQUE AVANT HOMÈRE.

silence. Mais cesse ce chant funeste qui ne fait que torturer mon cœur[1]. »


Démodocus.


Les chants attribués par Homère à Démodocus, l’aède des Phéaciens, sont marqués au plus haut degré du caractère épique. On dirait les arguments de quelques poëmes iliaques, qu’Homère avait sous les yeux, ou, si l’on veut, dans sa mémoire. Démodocus est aveugle ; mais il n’a point oublié l’art de tirer de la cithare des sons mélodieux ; il est plus que jamais le bien-aimé des Muses : « La Muse inspire à l’aède de chanter la gloire des guerriers, un sujet de chant dont la renommée montait alors jusqu’au ciel immense. Il conte la querelle d’Ulysse et d’Achille fils de Pélée ; comment un jour, dans un splendide festin en l’honneur des dieux, ils se prirent violemment de paroles. Or, Agamemnon, le chef des guerriers, se réjouissait en son âme de voir se disputer les plus braves des Achéens. Car c’était là ce que lui avait prédit Phœbus Apollon, dans Pytho la sainte, après qu’il eut franchi le seuil de pierre pour consulter l’oracle, au temps où s’apprêtaient à fondre sur les Troyens et les enfants de Danaüs les premières calamités, en vertu des décrets du grand Jupiter[2]. » Une autre fois, sur l’invitation d’Ulysse lui-même, Démodocus chante le fameux stratagème du cheval de bois, et cette prise d’Ilion si souvent célébrée depuis : « Il conte d’abord comment les Argiens montèrent sur leurs navires au solide tillac, et reprirent la mer après avoir mis le feu à leurs tentes. Les autres, avec le très-renommé Ulysse, étaient déjà au milieu de la place publique de Troie, enfermés dans les flancs du cheval ; car les Troyens l’avaient eux-mêmes traîné jusqu’à la ville haute. Le cheval était donc ainsi debout ; et les Troyens délibéraient sans trop s’entendre, assis autour de lui. Trois avis divers partageaient l’assemblée : ou bien ouvrir avec le tranchant de l’impitoyable airain les cavités

  1. Odyssée, chant I, vers 325 et suivants.
  2. Ibid., chant VIII, vers 72 et suivants.