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SOCRATE.

dans ses œuvres en copiant servilement la nature. Il faut qu’il choisisse entre les éléments qu’elle fournit ; et ce choix suppose chez l’artiste une conception antérieure, en vertu de laquelle il est capable de distinguer ce qui est beau de tout ce qui ne l’est pas : « Il était allé un jour chez Cliton le statuaire ; il s’entretenait ainsi avec lui : « Je vois bien que tu ne représentes pas de la même manière l’athlète à la course, le lutteur, le pugile, le pancratiaste ; mais le caractère de vie qui charme surtout les spectateurs, comment l’imprimes-tu à tes ouvrages ? » Comme Cliton hésitait, et tardait à répondre : « C’est peut-être, lui dit Socrate, en conformant tes statues à tes modèles vivants, que tu les montres plus animées ? — Voilà tout mon secret. — Suivant les différentes postures du corps, certaines parties s’élèvent, tandis que d’autres s’abaissent ; quand celles-ci sont pressées, celles-là fléchissent ; lorsque les unes se tendent, les autres se relâchent : n’est-ce pas en imitant cela, que tu donnes à l’art la ressemblance de la vérité ? — Précisément. — Cette imitation de l’action des corps ne donne-t-elle pas du plaisir aux spectateurs ? — Cela doit être. — Il faut donc exprimer la menace dans les yeux des combattants, la joie dans le regard des vainqueurs. — Assurément. — Il faut donc aussi que la statuaire exprime par les formes les actions de l’âme[1]. » Socrate prouve de même au peintre Parrashius que la peinture doit reproduire surtout le caractère moral des personnages[2]. Le beau, d’après Socrate, le beau véritable, celui qui élève l’âme et qui allume en elle l’admiration et l’enthousiasme, est inséparable du bon, dans la réalité même comme dans la langue grecque, qui les unissait quelquefois en une seule expression, formée des mots beau et bon, et qui se servait du mot beau lui-même pour signifier aussi le bon et l’honnête.

Socrate n’appelait pas poésie une versification sonore, une musique qui ne parle qu’à l’oreille et ne dit rien à l’esprit. Il regardait la rhétorique et l’éloquence comme deux choses à peu près incompatibles. La seule tactique légitime, selon lui,

  1. Xénophon, Mémoires de Socrate, livre III, chapitre X.
  2. Id., ibid.