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CHAPITRE XXVI. SOPHISTES.

que rien n’altère. Dans l’âme, elle est cette sagesse qu’acquièrent les hommes par la science et la justice. Or, si elle gouverne et conserve ainsi le tout et les parties, et si elle y fait régner la concorde et l’amitié, comment ne l’appellerait-on pas, d’un suffrage unanime, la mère et la nourrice de tout ce qui existe au monde ? » Sans doute le sophiste se montre encore çà et là ; et l’on pourrait chicaner sur la justesse de quelques idées ou sur la façon dont Polus les a déduites. Mais on conviendra que celui qui était capable d’écrire ou de parler ainsi méritait d’être mieux qu’un sophiste. On peut dire de Polus, je crois, ce que saint Basile disait de Prodicus : « Ce n’est point un auteur méprisable. »

Il faut reconnaître aussi que les sophistes, en s’occupant, plus qu’on ne l’avait fait avant eux, de la forme des phrases, de la valeur et de la constitution organique des mots, n’ont pu manquer de faire quelques découvertes plus ou moins importantes, et de préparer les éléments d’un système grammatical raisonné. Protagoras fut le premier, suivant quelques-uns, qui distingua les trois genres de noms, le masculin, le féminin et le neutre, ou, pour me servir de ses termes, le mâle, la femelle et les choses. De pareilles trouvailles ont excité, je le conçois, l’admiration des contemporains, qui avaient jusque-là parlé mâle et femelle sans le savoir ; et c’était une compensation, et quelle compensation encore ! à la corruption de la morale publique et privée, à la perversion du bon goût, à l’avilissement de l’esprit, à la décadence de la poésie, à l’empoisonnement de l’éloquence. D’ailleurs, on avait la rhétorique !