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ANCIENNE ÉLOQUENCE POLITIQUE.

connaissent que les combats de terre de construire des vaisseaux, et de lutter avec une flotte contre les ennemis ; et sa proposition est accueillie, et tout se fait comme il l’a conseillé. Ce fut là le triomphe de l’éloquence de Thémistocle. Je ne sache pas qu’aucun orateur en ait jamais remporté de plus complet et de plus beau. Il y a, dans la vie de Thémistocle, mainte autre circonstance où le talent de la parole dut avoir et eut en effet une influence non moins décisive. Ainsi quand il obtint des Athéniens qu’ils déférassent le commandement général, contre leur vœu, au Lacédémonien Eurybiade ; ainsi encore lorsque, dans le conseil des amphictyons, les Lacédémoniens voulant retrancher de l’amphictyonie les peuples grecs qui avaient refusé de combattre les Mèdes, il défendit la cause des accusés et amena les pylagores à son sentiment. L’éloquence, de Thémistocle était à la fois insinuante et passionnée. Nul n’y pouvait résister, surtout quand elle n’était, comme d’ordinaire, que l’assaisonnement de la raison. Dès son enfance, le héros de Salamine avait annoncé ce qu’il serait un jour : « Dans les heures de récréation et de loisir que lui laissaient ses premières études, jamais, dit Plutarque, il ne jouait ni ne restait oisif comme font les autres enfants. On le trouvait méditant, composant des discours à part lui : c’était ou l’accusation ou la défense de quelqu’un de ses camarades. » Qu’on me dise si, avec de pareilles dispositions, avec l’ardente ambition qui possédait son âme, Thémistocle, devenu homme, avait besoin d’apprendre quelque chose dans le manuel de Corax, ou dans tout autre ridicule fatras de ce genre.


Aristide.


Aristide fut le rival de Thémistocle, et ses avis l’emportèrent plus d’une fois dans les assemblées du peuple athénien, à force de bon sens, d’honnêteté, de grandeur, sinon peut-être de passion et de finesse. Aristide savait pourtant aussi mettre l’esprit au service de la raison ; et l’indignation, au besoin, ne lui faisait pas défaut. Ainsi, son intégrité dans l’administration des finances de l’État lui ayant attiré des désagréments,