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THUCYDIDE.

en aucun autre, il est douteux que les applaudissements qui avaient accueilli Hérodote à Olympie aient donné, comme on le dit quelquefois, Thucydide à la Grèce. Ce qui est certain, c’est que Thucydide n’admirait que médiocrement le livre d’Hérodote. Il reproche même assez rudement au vieil historien d’avoir eu en vue le plaisir du lecteur plus que son utilité, et d’avoir sacrifié trop souvent à l’amour du merveilleux. Mais c’est ici le jugement de Thucydide homme déjà mûr, préoccupé avant tout des enseignements politiques qui doivent découler de l’histoire, et travaillant avec effort ; comme il le dit lui-même, afin de léguer aux siècles à venir un monument impérissable.

Thucydide, durant les premières années de la guerre, fut chargé d’importantes fonctions. Il s’en acquitta d’abord à la satisfaction des Athéniens. Mais, en 424, n’ayant pu réussir à empêcher Brasidas de s’emparer d’Amphipolis, il fut mis en jugement, et condamné à l’exil. Cet exil dura vingt ans, depuis 423 jusqu’en 403 ; car l’arrêt porté contre Thucydide ne fut révoqué qu’après la fin de l’interminable guerre. C’est dans la Thrace, à Scapté-Hylé, où il possédait, du chef de sa femme, des mines de métaux précieux, qu’il passa ces vingt années, suivant de l’œil toutes les fluctuations de la Fortune ; se faisant rendre compte, par des agents qu’il payait, de tout ce qui se passait jour par jour dans la Grèce ; méditant profondément sur les effets pour en découvrir les causes ; rédigeant enfin ce livre extraordinaire, qui n’est pas une des moins admirables merveilles de la pensée antique. On croit qu’il revint se fixer à Athènes, après le rappel des exilés. Quelques-uns disent toutefois qu’il vivait, à peu près vers ce temps, à la cour d’Archélaüs ; d’autres, qu’il ne quitta point la Thrace ni Scapté-Hylé. Plutarque dit formellement qu’il périt en Thrace, sous les coups d’un assassin. Mais on pourrait facilement concilier tous ces témoignages. Rien n’empêche que Thucydide, tout en profitant de l’amnistié pour rentrer à Athènes, n’ait été faire visite au roi d’Archélaüs, et ne soit retourné de temps en temps voir ses mines de Thrace, jusqu’au jour où il tomba victime de quelque brigand, ou peut-être de quelque ennemi personnel. Il n’est nullement