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CHAPITRE XXII.

mordante, impitoyable, qui n’épargnait ni grand, ni petit, ni le talent, ni le génie, ni la vertu même.

J’ignore, comme tout le monde, ce qu’étaient les pièces de ce Cratès mentionné par Aristote ; mais je n’hésite pas à affirmer que Cratès fut essentiellement un poëte politique. Il en est de même de Cratinus et d’Eupolis, qui sont rangés, dans le canon alexandrin, parmi les classiques de l’ancienne Comédie, et qui précédèrent, mais d’assez peu, Aristophane. C’étaient, comme Aristophane, des moralistes à leur manière, et qui s’imaginaient aussi rendre de grands services à la chose publique et travailler dans l’intérêt du juste et de l’honnête : « Eupolis, Cratinus et Aristophane, dit Horace, et tous les autres poëtes de l’ancienne Comédie, rencontraient-ils quelque caractère digne d’être dessiné, un méchant, un voleur, un impudique, un coupe-jarret, ou tout autre vaurien, ils ne se gênaient pas pour le signaler à tous[1]. »

Ce n’est pas seulement par la nature des sujets ou par le choix des personnages, que les poëtes se donnaient toute licence satirique. Il y avait, dans le chœur, des passages où les acteurs n’étaient plus des acteurs, et où le coryphée parlait pour le compte de l’auteur même. C’est ce qu’on nommait parabase, c’est-à-dire passage en rang, à raison du mouvement que faisait le chœur pour se mettre en face du public, avant de lui chanter ou de lui débiter ce qui s’adressait directement à lui :

« La parabase, dit Otfried Müller, formait une marche de chœur au milieu de la comédie. Elle est évidemment sortie de ces cortèges phalliques qui avaient été l’origine de tout le drame. Elle est l’élément primitif de la comédie, depuis développée et devenue une œuvre d’art. Le chœur qui, jusqu’au moment de la parabase, a eu sa position entre la scène et la thymèle le visage tourné vers la scène, fait un mouvement, et passe en rangs le long du théâtre, dans le sens le plus étroit du mot, c’est-à-dire devant les bancs des spectateurs. Telle est proprement la parabase. Le chœur l’accompagne d’un chant qui consiste d’ordinaire en tétramètres anapesti-

  1. Horace, Satires, livre I, satire IV, vers 1 et suivants