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DÉCADENCE DE LA TRAGÉDIE.

mouvement de la scène, sinon par la vérité et la profondeur des sentiments et par la puissance d’un grand talent poétique. Il se fiait tellement aux ressources de son imagination, qu’il entreprit de se passer complètement, au moins une fois, de toute base historique ou mythologique, et de composer une tragédie où tout était d’invention, événements et caractères. W. Schlegel conjecture que cette pièce, intitulée la Fleur, n’était ni touchante ni terrible, et qu’elle offrait des tableaux agréables dans le genre de l’idylle. Rien n’empêche en effet de voir, dans l’essai d’Agathon, la création d’une sorte de drame, héroïque seulement à demi, et, comme dit Schlegel, une transition préparatoire à la Comédie nouvelle.

Le plus long des morceaux qui nous restent des tragédies d’Agathon n’a que six vers ; mais ces six vers suffisent pour nous faire connaître à quels jeux d’esprit s’abaissait quelque-fois ce poëte. Un berger, qui ne sait pas lire, décrit lettre par lettre le nom de Thésée (ΘΗΣΕΥΣ), en rapportant ce qu’il vient d’apercevoir : « Parmi ces caractères, on voyait d’abord un rond avec un point au milieu, puis deux lignes debout, jointes ensemble par une autre ; la troisième figure ressemblait à un arc de Scythie ; puis venait un trident couché, puis deux lignes faisant un angle au sommet d’une ligne debout ; puis la troisième figure de nouveau, et c’était la fin. » Ce qui est encore plus étrange que la chose même, c’est qu’Euripide avait fourni à Agathon le modèle de cette scène bizarre. Il va sans dire que les successeurs d’Agathon ne manquèrent pas d’imiter ces beaux exemples, et d’enchérir sur leurs devanciers.

Je dois mentionner pour mémoire Néophron de Sicyone, qu’Euripide avait, dit-on, imité de fort près dans sa Médée, ou qui, suivant d’autres, s’était approprié la Médée d’Euripide en la remaniant et en la remplissant de ses interpolations. Ce Néophron avait pourtant composé cent vingt pièces. Je n’ai rien de particulier à noter sur ce Carcinus dont Aristophane s’est tant moqué, ni sur les fils de Carcinus, ni sur Critias, qui fut un des trente tyrans, sinon qu’ils avaient fait des tragédies. Denys l’Ancien, qui se piquait, ainsi qu’on sait, de poésie, obtint une fois le prix dans les concours dramatiques