Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
305
EURIPIDE.

avait raison, quoi qu’en dise W. Schlegel, de soutenir que, pourvu qu’un personnage portât à la fin la peine de ses méfaits, le poëte était en droit de le peindre même vicieux et scélérat, et de mettre dans sa bouche des discours blasphématoires. Mais je ne félicite que médiocrement Euripide d’avoir un peu trop mérité l’éloge que fait de lui Quintilien, qu’il est, de tous les tragiques, celui dont l’étude est le plus utile aux aspirants orateurs. Ses personnages discutent et avocassent quelquefois, et oublient, dans le plaisir d’étaler leur faconde, qu’ils sont là pour autre chose que pour unes escrime oratoire.


Pathétique d’Euripide.


Quintilien corrige, il est vrai, ce que son éloge pourrait avoir de fâcheux pour Euripide, en indiquant les grandes et magnifiques qualités par lesquelles le poëte s’est placé à côté et non pas au-dessous de Sophocle et d’Eschyle : « Il est admirable dans l’expression de toutes les affections de l’âme, de celles particulièrement que fait naître la pitié ; là, il est sans rival. » Oui, quand même Euripide aurait plus de défauts encore que la loupe des critiques n’en a découvert et que leur imagination n’en a inventé, Euripide n’en resterait pas moins au rang que lui a assigné l’admiration des siècles. C’est le peintre des passions humaines ; c’est l’homme qui a pénétré le plus avant dans les abîmes de notre être. Ce n’est pas le héraut de la vertu, et il a songé à émouvoir et à dominer les âmes, bien plus peut-être qu’à les purifier et à les instruire. Nul n’a produit sur la scène avec des traits plus vifs et plus poignants les séductions du désir, le trouble des sens, l’anéantissement de la volonté, les ivresses de bonheur suivies du repentir et du désespoir, et, comme dit Longin, l’effrayante image de la raison abattue et détruite par le malheur. Ne le comparons point à Sophocle, encore moins à Eschyle ; ne l’estimons qu’en lui-même. Eschyle ni Sophocle n’ont jamais retracé les douloureuses dévastations du cœur, qui sont le thème le plus ordinaire des compositions d’Euripide. Confessons qu’Euripide n’a ni l’enthousiasme profond