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CHAPITRE XX.

et que ce n’était pas toujours un échec d’être relégué à la troisième : des représentations subséquentes pouvaient donner gain de cause au poëte contre l’arrêt des juges, au moins dans l’estime des auditeurs. Mais quelquefois il arrivait que le peuple rejetait par ses clameurs une pièce nouvelle avant d’en avoir vu la représentation entière ; et la pièce ainsi honnie ne pouvait reparaître sur la scène qu’après des corrections et des remaniements souvent considérables. Ce désagrément, que n’avaient éprouvé ni Eschyle ni Sophocle, on ne l’épargna point à Euripide : il fut forcé de refaire après coup plusieurs de ses tragédies. Sa réputation néanmoins alla tous les jours croissant ; et, quand il se retira, deux au trois ans avant sa mort, auprès d’Archélaüs roi de Macédoine, les Athéniens le regrettèrent plus vivement peut-être que leurs pères n’avaient regretté Eschyle quittant Athènes pour Syracuse et Géla. d’Archélaüs, qui renouvelait les nobles traditions des Hiéron et des Arcésilas, attirait à sa cour les poëtes, les artistes et les philosophes, et préludait par sa magnificence à la future grandeur de son peuple et de sa maison.

C’est en Macédoine qu’Euripide mourut, en 407 ou en 406, six mois environ avant que Sophocle mourût à Athènes. Quelques-uns content que les femmes macédoniennes, furieuses des outrages qu’Euripide, dans ses tragédies, avait vomis contre leur sexe, le déchirèrent de leurs mains, comme les bacchantes avaient jadis mis en pièces Orphée. Ce n’est là que l’exagération d’une triste réalité. Euripide, se promenant dans une campagne solitaire, fut déchiré non point par des femmes, mais par des chiens. Les femmes avaient sans doute assez peu de tendresse pour le poëte qui les a traitées souvent en juge sévère, presque en ennemi ; mais, qu’elles lui aient fait subir le supplice dont l’avait menacé plaisamment Aristophane, surtout que cet événement se soit passé en Macédoine, et qu’un vieillard étranger ait misérablement péri, dans cette contrée alors demi-barbare, pour des peccadilles littéraires commises en Attique, c’est une histoire qui sent trop sa légende pour que nous ayons la moindre idée d’en soutenir l’authenticité.