Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
286
CHAPITRE XIX.

Les Trachiniennes, ainsi nommées parce que le chœur est formé de jeunes filles de la ville de Trachine au pied du mont Œta, sont le tableau de la jalousie de Déjanire et de la mort d’Hercule, empoisonné par la tunique du centaure Nessus. C’est un ouvrage inférieur aux autres tragédies de Sophocle, mais non pas, comme quelques-uns le disent, sans unité de plan, sans force dramatique, ni dénué de grandes qualités. Que si l’intérêt passe de Déjanire à Hercule, c’est par la progression naturelle des événements, et non pour aucun manquement du poëte aux règles fondamentales de l’art. L’impression est une, en définitive ; et ce que le spectateur emporte de la tragédie, c’est un double exemple des effets désastreux de l’amour. D’ailleurs, le caractère de Déjanire et celui d’Hercule sont tracés de main de maître, sinon encadrés dans une action bien serrée et bien saisissante.

Œdipe-Roi, qui est postérieur d’une dizaine d’années à l’Antigone, n’eut que la seconde place au concours des tragédies. Philoclès, neveu d’Eschyle, remporta le prix. Cette fois l’arrêt des Athéniens, ou celui des cinq juges, fut dicté par la passion et par des préventions aveugles. Toutes les productions de Philoclès étaient la médiocrité même ; et l’Œdipe-Roi est la plus dramatique, je ne dis pas la plus belle, des tragédies de Sophocle. L’intérêt de curiosité y est ménagé avec un art extrême. Une première lueur jetée sur les sombres mystères où se trouve abîmé le roi de Thèbes amène des clartés de plus en plus manifestes, jusqu’au moment terrible où Œdipe s’écrie : « Hélas ! hélas ! hélas ! tout est révélé maintenant. O lumière du jour, je te vois pour la dernière fois[1] ! » La fierté un peu présomptueuse d’Œdipe, et la légèreté ou plutôt l’irréflexion de Jocaste, sont les moyens dont s’est servi le poëte pour dérober presque complètement au spectateur le sentiment des invraisemblances dont est pleine la légende des forfaits d’Œdipe et de son expiation.

Ajax est une composition beaucoup plus simple, mais pleine aussi de passion et de vie. Les armes d’Achille ont été

  1. Œdipe-Roi, vers 1181, 1182.