Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
285
SOPHOCLE.

hymen heureux. Elle est touchante, quoiqu’elle laisse à peine soupçonner son penchant secret pour le fils de Créon. Elle meurt ; mais ce sang précieux est payé par la ruine et la destruction de la famille entière du tyran. Tout est disposé, dans la tragédie, pour concentrer l’intérêt sur la grande figure d’Antigone : et le farouche caractère de Créon, devant lequel son dévouement pieux ne fléchit pas, et l’affection profonde d’Hémon, et la faiblesse craintive d’Ismène, et la lâcheté même des vieillards du chœur, qui obéissent sans résistance aux ordres de Créon, et qui ne savent que gémir sur les malheurs de ses victimes.

Électre est le même sujet qu’Eschyle avait traité dans les Choéphores ; mais ici ce n’est plus Oreste, c’est sa sœur qui joue le principal rôle. Oreste n’est guère que le bras qui exécute. La pensée de vengeance, la passion, l’impitoyable rigueur, sont dans l’âme d’Électre. Électre pousse jusqu’à l’excès sa juste haine pour la meurtrière d’Agamemnon. Elle n’est plus, elle ne veut plus être la fille d’une telle mère. Mais l’art du poëte nous fait entrer peu à peu dans les ressentiments qui ulcèrent son cœur ; et les côtés mêmes par où elle tient à son sexe, surtout son affection pour son frère, sont ceux précisément dont Sophocle a profité, pour légitimer à nos yeux les résolutions plus que viriles où s’est fixée sa volonté, et pour préparer le parricide qui punira l’assassinat d’un époux par une épouse adultère. Il n’est guère douteux que le succès d’Antigone n’ait influé considérablement sur la manière dont Sophocle a traité ce dramatique sujet. La prédominance absolue, trop absolue peut-être, du caractère d’Électre, semble comme une exagération du système suivi dans Antigone. Chrysothémis joue un rôle qui rappelle de près celui d’Ismène. Créon se retrouve, mais bien effacé, dans Clytemnestre et dans Égisthe. Oreste est sans physionomie, et ne nous inspire pas même cet intérêt secondaire que mérite si bien la noble figure d’Hémon. Au reste, on ignore la date précise de la représentation d’Électre, et on ne sait pas davantage si cette œuvre nouvelle fut reçue avec les mêmes applaudissements que celle qui en était, pour ainsi dire, le prototype.