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CHAPITRE XVIII. ESCHYLE

de toutes parts, je le sais, hors des cadres étroits où les faiseurs de poétiques enserrent le génie. Mais elle n’est pas pour cela plus mauvaise ; et il ne tient qu’à nous de comprendre l’enthousiasme des Athéniens. Nous n’avons qu’à secouer un peu notre paresse, au lieu de nous en tenir aux opinions courantes. Lisons Eschyle, je dis le texte lui-même, et Eschyle sera bientôt vengé des ridicules sottises qu’ont écrites à son intention tant de gens qui n’avaient pas même essayé de déchiffrer le premier mot de son théâtre. Personne n’a mieux compris qu’Aristophane la grande âme d’Eschyle ; personne n’a mieux décrit ce caractère de beauté morale qui distingue entre toutes les œuvres du vieux tragique. Eschyle avait refusé un jour de composer un nouveau péan, parce que l’hymne de Tynnichus avait, selon lui, une majesté simple et nue dont tout l’art du monde n’eût pas donné l’équivalent. C’est bien cet homme pour qui la poésie était une chose sainte et sacrée, et non pas un vain exercice de bel esprit, qui pouvait prononcer cette fière apologie :

« Oui, ce sont là les sujets que doivent traiter les poëtes. Vois en effet quels services ont rendus, dès l’origine, les poëtes illustres. Orphée a enseigné les saints mystères et l’horreur du meurtre ; Musée, les remèdes des maladies et les oracles ; Hésiode, l’agriculture, le temps des récoltes et des semailles. Et ce divin Homère, d’où lui est venu tant d’honneur et de gloire, si ce n’est d’avoir enseigné des choses utiles : l’art des batailles, la valeur militaire, le métier des armes ?… C’est d’après Homère que j’ai représenté les exploits des Patrocle et des Teucer au cœur de lion, pour inspirer à chaque citoyen le désir de s’égaler à ces grands hommes, dès que retentira le son de la trompette. Mais, certes, je ne mettais en scène ni des Phèdres prostituées ni des Sthénobées ; et je ne sais si j’ai jamais représenté une femme amoureuse[1]. »



  1. Aristophane, Grenouilles, vers 1057 et suivants.