Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
ESCHYLE.

sort déplorable. J’aime mieux languir captif sur ce roc que d’avoir Jupiter pour père et d’être son docile messager. A ceux qui nous outragent répondons aussi par l’outrage. — MERC. Ton sort présent, je crois, fait ta joie ? — PROM. Ma joie ! oui ; puissé-je voir se réjouir ainsi mes ennemis, et tu en es, Mercure !… - MERC. Je le vois : ta raison se trouble, le délire est violent. — PROM. Qu’il dure donc, ce délire ! si c’en est un de haïr ses ennemis. — MERC. Heureux, tu serais insupportable ! — PROM. (Il pousse un cri de douleur.) Hélas ! — MERC. Voilà un mot que Jupiter ne connut jamais. — PROM. Le temps marche, et c’est un grand maître. — MERC. Ce maître pourtant ne t’a pas encore appris la sagesse. — PROM. En effet ; sans cela te parlerais-je, vil esclave ? — MERC. Ainsi tu ne veux donc rien dire de ce que mon père désire savoir ? — PROM. Eh ! je lui dois tant ! il faut bien lui donner un témoignage de ma reconnaissance !… »

Il y a une autre partie de la perfection dramatique, et la plus importante peut-être, qui n’a pas manqué davantage à Eschyle. Je veux parler de l’art d’exposer le sujet, et de préparer les spectateurs aux scènes qu’ils vont avoir sous les yeux. Eschyle délègue quelquefois ce soin au chœur lui-même, qui s’en acquitte à merveille ; mais il sait aussi mettre en action ses personnages dès le début, et entamer par le vif, avec un rare bonheur, toutes les émotions de notre âme. Sophocle lui-même n’a rien qu’on puisse comparer, pour la terreur et l’intérêt poignant, à l’exposition du Prométhée.


Poésie d’Eschyle.


Ne nous étonnons donc pas que les Athéniens aient toujours tenu Eschyle, dans leur estime, au premier rang des poëtes dramatiques, et qu’Aristophane le préfère non-seulement à Euripide, mais même à l’auteur d’Œdipe-Roi et d’Antigone. Les monuments de la muse d’Eschyle justifient les prédilections d’un peuple artiste et les éloges des anciens.

La poésie d’Eschyle ne ressemble pas toujours à ce que nous sommes habitués à admirer. Qu’importe ? Elle déborde