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ESCHYLE.

vivait comblé d’honneurs. Il est ridicule de dire, comme le font quelques-uns, qu’en 460 il s’en allait dépité de ce que Simonide, quinze ou vingt ans auparavant, avait emporté sur lui le prix de l’élégie. Il ne l’est guère moins d’attribuer le dépit du poëte à l’échec qu’il avait subi, en 469, dans le concours des tragédies, quand le jeune Sophocle lui fut préféré. Élien et Suidas prétendent que l’exil du poëte n’était pas volontaire. Le premier dit qu’Eschyle fut accusé d’impiété, ce qui n’est pas très-vraisemblable ; le second dit qu’il avait fui d’Athènes parce que, dans la représentation d’une de ses pièces, les gradins de l’amphithéâtre s’étaient écroulés : ceci est beaucoup moins vraisemblable encore.

Eschyle continua, dans sa retraite, les travaux de toute sa vie. Il composa des tragédies nouvelles, qu’il faisait représenter à Syracuse, ou dans quelque autre ville, par des artistes siciliens. Le récit que Valère-Maxime fait de la mort d’Eschyle est connu de tout le monde, grâce aux vers de La Fontaine sur la destinée. Mais cet aigle qui enlève une tortue, qui prend une tête chauve pour un morceau de rocher, et qui laisse tomber dessus sa proie, toute cette historiette a bien l’air d’un de ces contes à dormir debout comme on en a tant fait sur la vie mal connue des anciens auteurs. Eschyle mourut à l’âge de soixante-neuf ans, en l’an 456 avant notre ère. Son tombeau était à Géla, et portait l’inscription que j’ai citée. Pendant longtemps ce tombeau fut, pour les poëtes dramatiques, l’objet d’un culte religieux. Ils venaient, dit-on, le visiter avec toute sorte de respects. Mais il ne paraît point, hélas ! qu’on y respirât ce qui fait le génie, ni que tons ces visiteurs en aient jamais rien emporté, sinon peut-être des intentions magnifiques. À la mort d’Eschyle, Sophocle était déjà Sophocle ; Euripide n’a jamais rien demandé, ce semble, à la mémoire d’un homme dont il méprisait les œuvres ; et la mollesse d’Agathon n’avait rien de commun avec l’énergique et enthousiaste poésie d’Eschyle.

Les Athéniens rendirent à Eschyle mort le plus grand hommage qu’on pût faire à un poëte dramatique. Ils voulurent que ses tragédies reparussent dans ces concours où tant d’entre elles avaient triomphé ; et il arriva plus d’une