Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267
ORIGINES DU THÉÂTRE GREC.

disposait souverainement toutes choses ; c’était lui qui enseignait, selon le terme consacré (διδάσκειν), sa pièce ou ses pièces aux artistes que le chorège mettait à sa disposition. Ce mot d’enseignement n’est pas trop fort pour désigner tout ce qu’il fallait dépenser de temps, de patience et de peine, afin de préparer dignement une solennité qui ne perdit jamais complètement son caractère religieux, et qui n’était pas pour les compétiteurs une affaire de lucre simplement, ou même de gloriole littéraire.

Les Athéniens appelaient Eschyle le père de la tragédie. Quintilien interprète à sa façon ce titre d’honneur : « Eschyle le premier mit des tragédies au jour. » Les noms de Thespis, de Phrynichus, de Chœrilus, de Pratinas, suffiraient à eux seuls pour convaincre d’erreur l’assertion du rhéteur latin. Quand Eschyle parut, il y avait longtemps déjà que la tragédie était constituée. Le théâtre était construit ; l’appareil scénique existait ; les mètres poétiques étaient fixés ; les concours dramatiques avaient tout leur éclat, et conviaient périodiquement la vive et intelligente population de l’Attique aux fêtes de l’esprit et du génie. Ne disons donc pas, avec Quintilien, qu’Eschyle a mis le premier des tragédies au jour. Eschyle n’est pas l’inventeur de la tragédie. Non, certes ! mais il a donné à la tragédie le souffle divin, la vie et la durée immortelles ; et c’était là la grande, la véritable, l’unique invention. Il y avait longtemps aussi qu’on représentait des tragédies sur notre théâtre, quand la merveille du Cid a paru : c’était après Jodelle, Garnier, Hardy, Tristan, Mairet, Rotrou même ; et pourtant, Corneille est le père de la tragédie française. Voilà dans quel sens Eschyle est le père de la tragédie antique, et voilà comment W. a pu dire que la tragédie sortit, armée de toutes pièces, du cerveau d’Eschyle, de même que Pallas s’était élancée de la tête de Jupiter.