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ORIGINES DU THÉÂTRE GREC.

sur ce point, Horace s’est manifestement trompé. Il a confondu Thespis avec Susarion, l’inventeur de la comédie. C’est de Susarion que d’autres anciens content la chose. La tragédie, dès le temps du simple dithyrambe, se représentait auprès de l’autel de Bacchus. Les acteurs de Thespis récitaient et n’improvisaient pas ; et un chariot ambulant ne saurait être un théâtre que pour des improvisateurs. Horace, qui parlait tout à l’heure des poëmes de Thespis, a pu les lire comme d’autres Romains : « Les Romains, dit-il, dans le repos qui suivit les guerres Puniques, se mirent à s’enquérir des beautés de Sophocle, et de Thespis, et d’Eschyle[1]. » Peu importe que les vers attribués à Thespis soient ou non authentiques : dès que Thespis a écrit, il est évident que ses acteurs étaient autre chose que ces hommes que nous peint Horace. Je ne puis me faire à l’idée d’une Alceste représentée sur une charrette roulante, par des vendangeurs avinés.

La nécessité d’une estrade est telle, pour qui veut se donner en spectacle, qu’il est à peu près impossible que Thespis lui-même s’en soit toujours passé, et qu’on ait attendu, comme le prétend Horace, jusqu’au temps d’Eschyle, pour avoir l’idée de mettre les personnages en scène sur des tréteaux. J’en dirai autant du costume, et de tout le reste de l’appareil théâtral. Il est permis de ne pas croire qu’Eschyle ait le premier songé à distinguer les acteurs d’avec le public auquel ils s’adressaient. On n’imagine pas aisément un Bacchus, un Penthée, surtout une Alceste, car les rôles de femmes étaient joués par des hommes, sous la figure et dans le costume habituel de Thespis. Vrais ou faux, conventionnels ou non, il fallait bien que certains insignes distinguassent aux yeux le personnage.

L’emploi du masque et du cothurne doit remonter aussi aux premiers temps de l’art dramatique. Le masque répondait à un double besoin : c’était la représentation traditionnelle ou idéale du dieu ou du héros dont on supposait la présence ; c’était aussi un moyen physique de renforcer la voix de l’acteur, de la faire mieux entendre à tout un peuple assemblé. Le cothurne, brodequin à semelles très épaisses,

  1. Horace, Épitres, livre II, épitre I, vers 162, 163.