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HÉRODOTE. HIPPOCRATE

qu’Homère ne vise au sublime. Il ignore même ce que c’est que le style, ou du moins ce qu’on appelle ordinairement ainsi, cet agencement des phrases et des mots, ces savantes combinaisons qui donnent au discours l’aspect d’un tissu bien façonné. Il parle sa pensée, voilà tout son art : le mot le plus simple, le plus naïf et le plus nu, la tournure aussi la moins contournée, la moins tournure, si j’ose ainsi dire, voilà tout ce qu’on trouve d’un bout à l’autre de son ouvrage. Toutefois, quand il fait parler les personnages eux-mêmes, il ramasse ses arguments sous une forme presque arrondie, qui offre comme une apparence ou plutôt une ébauche de période, et qui fait pressentir le style des historiens futurs. Hérodote a fait en langue ionienne, mais naturellement et sans effort, ce que Platon devait faire plus tard en langue attique, mais avec le labeur d’un art consommé : il a écrit comme il parlait, ou du moins comme il aurait pu parler. De là ces phrases qui semblent n’avoir ni commencement ni fin, ni construction raisonnable, et qui ne laissent pas d’exprimer parfaitement ce qu’Hérodote veut dire, tout eu nous plaisant, dit Paul-Louis Courier, par un air de bonhomie et de peu de malice, moins étudié que ne l’ont cru les anciens critiques. La grâce de la diction n’est pas seulement dans l’heureux négligé des formes, elle est aussi dans le caractère même de la langue. Le dialecte ionien, avec ses diérèses, ses voyelles accumulées, les souvenirs poétiques que réveillent les mots qui lui sont propres, ajoute à tous les autres charmes son charme particulier, si bien en rapport avec la physionomie de l’œuvre entière.

Hérodote ne s’échauffe jamais : il laisse aux faits qu’il raconte le soin d’intéresser eux-mêmes, et de passionner le lecteur. C’est du même ton sérieux qu’il fait l’histoire des infortunes conjugales de Candaule et celle des batailles qui ont préservé le monde du joug des barbares. Aussi serait-il malaisé de proclamer quel est, entre ces innombrables récits, celui qui mérite le plus d’être cité, abstraction faite, bien entendu, de l’importance des choses, et en ne tenant compte que des qualités de la narration. A mon avis, le plus long est aussi le plus beau.