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CHAPITRE I.

pas à être complet. Chaque dieu eut son histoire, sa filiation particulière, ses alliances soit avec les autres dieux soit avec les hommes. La vie humaine fut tout entière transportée aux êtres divins, avec ses grandeurs et sa beauté, mais aussi avec ses défauts et ses misères. La terre, pour parler comme Plutarque, fut confondue avec le ciel.


Rôle des poëtes dans la formation des légendes religieuses.


Les dieux païens ne sont donc pas éclos du cerveau des poëtes. La poésie se borna à fixer définitivement leurs traits, et à déterminer avec plus de précision leurs rôles respectifs et leurs caractères. Les poëtes mirent un peu d’ordre dans le chaos des théogonies traditionnelles. Ils ajoutèrent sans nul doute aux traditions, mais des ornements, mais des accessoires : ils n’innovèrent pas dans le fond même. Je suis persuadé que c’est quelque poëte qui a compté les Muses, c’est-à-dire les beaux-arts, et qui en a fait les filles de Mnémosyne ou de la mémoire. L’allégorie des Prières, ces filles boiteuses de Jupiter, qui s’attachent à la poursuite de l’Injure, est probablement une conception du génie d’Homère. Mais ce n’est pas Homère, à coup sûr, qui a inventé la légende d’Héphestus ou de Vulcain, ce dieu fameux par ses mésaventures, et qui, pour avoir voulu apaiser les querelles du ménage paternel, fut saisi par son père et précipité du haut du ciel dans l’île de Lemnos. Ce n’est pas lui non plus qui a pu imaginer que ce Jupiter, dont il exalte la puissance, avait eu besoin, dans un moment critique, qu’on appelât à son aide je ne sais quel monstre aux cent bras.

Les dieux d’Homère appartiennent au monde humain, si je puis ainsi dire ; et c’est à peine si quelque trait de leur légende, ou quelque épithète consacrée, rappelle leur primitive et symbolique origine. Leur séjour habituel est sur les sommets de l’Olympe. C’est là que Jupiter tient une cour, à l’image des rois de l’âge héroïque : on dirait Agamemnon élevé à l’immortalité et à la toute-puissance. L’épouse de Jupiter partage, comme une reine, ses honneurs et sa suprématie.