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THÉOLOGIENS ET PHILOSOPHES POËTES.

nisation d’Élée ; ce n’est pas même son poëme sur la nature[1] ; ce sont ces élégies et ces ïambes où il épanchait, sur toute sorte de sujets, sa veine sarcastique et son bon sens impitoyable.


Parménide.


Parménide d’Élée, disciple et continuateur de Xénophane, donna au système panthéistique, ébauché par son maître, la rigueur logique et la précision, sinon la réalité et la vraisemblance, dont il se mettait médiocrement en souci. Il construisait le monde d’après sa pensée, et ne réglait pas sa pensée d’après le spectacle des choses. Cette disposition d’esprit, qui le préparait fort mal à la découverte de la vérité, n’était pas la pire pour le maintenir poëte, en dépit même des sujets souvent peu poétiques qu’il traitait dans ses vers. Son poëme intitulé περὶ φύσες, de la Nature, dont il reste de nombreux fragments, n’était pas seulement une sèche exposition de doctrines : le style en était vif et plein d’images ; les détails les plus techniques y avaient je ne sais quelle animation singulière ; et, comme Lucrèce, qui le traduit quelquefois, le philosophe d’Élée s’échappait fréquemment à travers les champs de la fantaisie. Cette épopée scientifique était digne, à certains égards, de figurer à côté des plus grandes œuvres de la muse antique. Homère lui-même n’eût guère désavoué, dans l’allégorie du début, que la concision un peu obscure de quelques phrases et la physionomie un peu sévère de l’ensemble :

« Les coursiers qui m’entraînent m’ont amené aussi loin que me portait mon ardeur ; car ils m’ont fait monter sur la route glorieuse de la divinité, sur cette route qui introduit le mortel savant au sein de tous les secrets. C’était là que j’allais, c’était là que mes habiles coursiers entraînaient mon char. Des jeunes filles dirigeaient notre course, les filles du soleil, qui avaient quitté les demeures de la nuit pour celles de la lumière, et qui de leurs mains avaient rejeté les voiles

  1. Περὶ φύσεως. C'est le titre commun de presque tous les grands traités des anciens philisophes.