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CHAPITRE XIV.

le style d’Hésiode et d’Homère, même pour injurier les héros de l’antique littérature!


Xénophane.


Xénophane était né à Colophon en Ionie, et il fut un de ceux qui allèrent fonder, dans la Grande-Grèce, la ville d’Élée ou de Vélia, en l’an 536 avant notre ère. Il était dans la fleur de l’âge quand il quitta l’Ionie ; il vécut de longues années dans sa patrie nouvelle, et il y laissa à. sa mort une école florissante.

Ce n’est pas ici le lieu d’exposer ce qu’on sait des doctrines particulières à Xénophane, et d’en apprécier la valeur. Le philosophe ne nous appartient que par son habileté à manier les rythmes de la poésie, surtout par ses vives et ingénieuses satires contre ceux qui ravalaient par d’indignes images la majesté de l’être divin. Peu nous importe qu’il se soit gravement trompé lui-même, après avoir si bien montré les erreurs des autres. Ses élégies, dont il reste un fragment considérable, et qui étaient l’ouvrage de sa jeunesse, avaient déjà une tendance philosophique, quoiqu’il ne s’y agît que de choses joyeuses. Ainsi il dissuade les convives de chanter dans le banquet ces fables de Titans, de Centaures, ou autres pareilles, inventées par les anciens poëtes ; il blâme le luxe tout oriental des Colophoniens ses compatriotes, et la folie des Grecs qui comptent pour rien le plus sage des hommes, au prix d’un athlète vainqueur aux jeux d’Olympie. On trouve, dans tout ce qui reste de lui, cette sorte de gaieté sérieuse qui ne messied pas aux hommes même occupés des pensées les plus profondes. Voyez avec quelle grâce, à quatre-vingt-douze ans, il confesse la décadence de son esprit et de sa mémoire : « Soixante-sept ans se sont écoulés depuis que ma pensée est ballottée sur la terre de Grèce. Lorsque j’y vins, j’en comptais vingt-cinq, si tant est que je puisse encore supputer mon âge avec certitude. » Ce que je regrette le plus dans la perte des ouvrages de Xénophane, ce ne sont pas ses poëmes sur la fondation de Colophon et sur la colo-