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THÉOLOGIENS ET PHILOSOPHES POËTES.

« Je parlerai pour qui doit m’entendre. Fermez les portes à tous les profanes sans exception ; mais toi écoute-moi, fils de la Lune à la lumière brillante, Musée ; car je te dirai la vérité. Et ne laisse jamais, durant ta vie, s’échapper de ta mémoire les leçons qui ont auparavant éclairé ton âme. Tourne tes yeux vers la raison divine ; applique-toi à elle ; dirige vers elle le vase intelligent de ton cœur ; marche droit dans le sentier, et n’aie de regards que pour le maître du monde. Il est unique, né de lui-même ; de lui seul sont nées toutes choses ; lui seul a tout façonné. Il circule au milieu des êtres ; mais pas un des mortels ne le voit en face : lui, au contraire, il les voit tous. C’est lui qui dispense aux mortels les maux après les biens, et la guerre funeste, et les douleurs qui font verser des larmes. Il n’est pas d’autre roi que le grand roi. Je ne le vois pas, car une nuée le presse de toutes parts, et tous les mortels ont dans leurs yeux des pupilles mortelles, impuissantes pour apercevoir Jupiter, arbitre de l’univers. Car le dieu est établi sur le ciel d’airain, dans un trône d’or, les pieds posés sur la terre, la main droite étendue au loin vers les limites de l’océan. Devant lui tremblent les vastes montagnes, et les fleuves, et l’abîme de la mer azurée. »


Philosophes poëtes.


Les premiers philosophes durent profiter, et profitèrent en effet, des travaux de ces théologiens poëtes, qui avaient découvert d’importantes vérités morales, et dont ils ne différaient eux-mêmes que par leur mépris pour les formes mythiques et pour les obscurités calculées du style des hiérophantes. Les Xénophane, les Parménide, qui aspiraient à montrer la vérité sans voiles, sont tombés eux-mêmes dans quelques-uns des abus qu’ils reprochaient durement aux poëtes. Ils ont été, dans leurs vers, plus poëtes qu’ils ne voulaient ; et leurs allégories, pour être mieux raisonnées peut-être que les mythes vulgaires, ou même que ceux des orphiques, appartiennent à la poésie par autre chose encore que par la versification. Tant il était difficile de parler, à des hommes nourris d’Homère et d’Hésiode, autrement que dans