Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
172
CHAPITRE X.

et l’amour malheureux. Je n’en veux pour preuve que cette belle ode à Vénus, où elle supplie la déesse de venir mettre un terme à ses cuisants chagrins. On voit là, par ses paroles mêmes, que celui qu’elle aime ne l’aime point encore. Est-il vrai que Sappho, méprisée ou repoussée par Phaon, se soit précipitée dans la mer du haut du rocher de Leucade ? Quand on prouverait, comme prétend le faire Otfried Müller, que Phaon n’est autre chose qu’un personnage mythologique que Sappho avait célébré dans ses vers, et quand l’historiette du saut de Leucade ne serait qu’une invention poétique, il n’est pas moins certain que Sappho a souffert et vivement souffert de l’amour, peut-être jusqu’à en mourir.


Poésies de Sappho.


Si la poétesse lesbienne n’avait chanté que ses amours, la Grèce n’eût pas laissé de lui assigner, parmi les noms les plus glorieux de sa littérature, une place éminente et glorieuse. Mais c’est dans presque tous les genres, et sur tous les tons propres à la poésie lyrique, que Sappho avait fait admirer à l’antiquité cette grâce et cette douceur que nul n’a jamais unies à plus de véhémence et de passion. Ceux qui avaient recueilli ses œuvres les avaient distribuées en divers livres, mais en ayant égard uniquement au mètre, et sans tenir compte de la nature même des sujets. Le premier livre contenait, par exemple, tout ce que Sappho avait écrit dans le mètre auquel est resté attaché le nom de sapphique. Il y avait, dans chacun de ces livres, des morceaux du caractère le plus différent, comme on en peut juger encore à la diversité des idées et des sentiments qu’on trouve dans les fragments dont la forme métrique est la même. Mais le genre où la poétesse avait particulièrement excellé, ce sont les épithalames ou chants d’hyménée. Il y a dans les œuvres de Catulle, outre l’Épithalame de Pélée et de Thétis, deux autres épithalames, qui paraissent n’être autre chose que des traductions ou des imitations de Sappho, et qui sont dignes non-seulement du talent de Catulle, mais du génie de la poétesse lesbienne. Nous possédons encore un certain nombre de vers incontestés