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CHAPITRE X.

les, on permettait de tout dire et de tout faire, de se mêler des affaires les plus importantes, de parler politique et de tenir bureau d’esprit. Une femme comme Sappho, une poétesse disputant hardiment aux hommes sa place parmi les privilégiés de la Muse, initiant le public à ses pensées intimes, lui contant ses amours et cherchant à lui faire partager ses affections ou ses haines, une telle femme ne pouvait être, aux yeux d’un Athénien, qu’une éhontée sans mœurs, qu’une impudique qui trafiquait de son corps.


Condition des femmes chez les Éoliens et les Doriens.


Les poëtes comiques ont jugé Sappho la Lesbienne, morte depuis deux siècles, d’après les idées qui avaient cours parmi leurs auditeurs. Mais les Éoliens et les Doriens en usaient plus libéralement que leurs frères d’Athènes ou d’Ionie avec le sexe féminin. Ils ne renfermaient pas les femmes dans le gynécée ; ils cultivaient leur esprit, et ne craignaient point de les voir s’élever à la gloire littéraire. Il y avait, à Sparte même, des associations féminines que présidaient les femmes les plus en renom pour leurs vertus et leurs talents, et où les jeunes filles se formaient aux nobles manières en même temps qu’elles apprenaient à chanter et à bien dire. A Lesbos, où les arts élégants étaient particulièrement en faveur, l’éducation des femmes avait un caractère plus poétique et plus relevé encore. Voilà ce que font observer les critiques qui ont pris parti pour Sappho, entre autres Otfried Müller, celui de tous les savants qui a le mieux connu les institutions et le caractère des peuples de race éolienne et dorienne. Sappho n’était pas la seule Lesbienne qui se fût fait un nom par ses ouvrages : elle cite elle-même, comme ses rivales en poésie, Gorgo et Androméda. Les femmes de Lesbos ne rougissaient pas de leurs talents ; elles s’en vantaient avec fierté ; et l’ignorance, même opulente, même entourée de luxe et d’honneurs, ne trouvait pas grâce devant elles. Voyez avec quel ton de hauteur dédaigneuse Sappho s’adresse à une femme qui n’avait d’autre mérite que sa naissance et sa richesse, et peut-être sa beauté ; « Morte, tu seras ensevelie tout entière ; nul