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LYRIQUES ÉOLIENS.

d’une somme considérable, la fameuse courtisane Rhodopis, et de lui rendre sa liberté. Il est difficile, par conséquent, de comprendre que Sappho n’ait été elle-même autre chose qu’une sorte de courtisane, comme quelques-uns le répètent encore aujourd’hui. De quel front cette courtisane aurait-elle osé reprocher à Charaxus l’indignité de son amour pour Rhodopis, et, comme dit Hérodote, le déchirer dans ses vers, quand il revint à Mitylène après avoir affranchi sa bien-aimée ?

Ce n’est pas non plus à une courtisane qu’Alcée eût adressé les vers où il parle de la chasteté de Sappho. Encore moins est-ce une courtisane qui eût inspiré au fier poëte la passion presque craintive qu’annoncent ces expressions que j’ai déjà citées : « Je veux dire quelque chose, mais la honte me retient. » Voici la réponse de Sappho à la transparente énigme dont Alcée lui voulait faire deviner le mot : « Si c’était la passion du bien ou du beau qui t’eût pénétré, et si ta langue ne s’apprêtait à dire quelque chose de mauvais, la honte ne couvrirait point tes yeux, mais tu ferais ta juste requête. » Est-ce là le langage d’une courtisane ?


Condition des femmes chez les Ioniens.


Il est vrai que des témoignages anciens, et en assez grand nombre, semblent autoriser l’opinion vulgaire. Mais ces témoignages sont bien loin d’être contemporains de Sappho ; et les plus importants, ceux des comiques d’Athènes, ne sont en définitive qu’un monument des préjugés de leur temps et de leur nation. Chez les peuples de race ionienne, et en particulier chez les Athéniens, la condition des femmes, au siècle de Périclès ou d’Alexandre, était bien différente de ce qu’elle avait été jadis. Confinées dans la partie la moins accessible de la maison, exclues de toute participation aux choses de l’esprit, condamnées par la jalousie de leurs époux à n’exercer leur intelligence que dans le cercle des occupations domestiques, les femmes athéniennes n’avaient plus rien de cette naïveté d’allure et de cette aimable liberté dont telle héroïne d’Homère, Nausicaa par exemple, nous offre la charmante image. Aux courtisanes seules, à Aspasie et à ses ému-