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LYRIQUES ÉOLIENS.

Myrsilus, tout scélérat qu’il pût être, ne méritait probablement pas que sa mort fût chantée sur le ton qu’annonçait un début comme celui-ci : « C’est maintenant qu’il faut s’enivrer, c’est maintenant qu’il faut se forcer à boire ; car Myrsilus est mort. » L’ode n’existe plus, et Horace même, qui s’en est inspiré dans un de ses plus beaux chants[1], n’en a pris que le mètre, le mouvement et quelques mots ; mais il n’est pas difficile de deviner qu’Alcée avait dépassé, dans ses invectives contre Myrsilus, les bornes d’une juste colère.

Je ne décide point si le poëte, en attaquant d’autres démagogues, tels que Mégalagyrus et les Cléanactides, ne fit qu’un légitime usage de ses armes puissantes. Quant à sa conduite envers Pittacus, ni les malheurs d’un long exil, ni la rancune aristocratique, ni le dépit d’une défaite en rase campagne, ne le sauraient justifier de ses torts. Ce n’était pas d’un tel homme qu’on pouvait dire : « Ce mauvais citoyen, ce Pittacus, le peuple, d’une voix unanime, l’a établi tyran de la cité infortunée, dévolue à un funeste destin. » Alcée n’épargnait à Pittacus aucune outrageante épithète. Il enrichissait même la langue de mots nouveaux, pour égaler l’injure à ses ressentiments. Il va jusqu’à ’reprocher au sage la frugale simplicité de sa vie. Il l’appelle zophodorpide, c’est-à-dire soupant dans les ténèbres, et non point à la façon des gens bien nés, qui faisaient leurs festins aux flambeaux. Il regrette, au prix du maître d’aujourd’hui, ce Mélanchrus même, à la mort duquel ses frères avaient coopéré avec Pittacus : « Mélanchrus est digne du respect de la cité. » Voilà ce qu’on trouve encore dans le peu qui reste des œuvres d’Alcée. Que serait-ce donc si nous avions quelqu’un de ces poëmes où il avait distillé sa bile contre Pittacus ?

Alcée du moins était un brave. Son âme connaissait aussi les nobles pensées ; et, quand il s’adressait à ses compagnons d’armes, il savait parler le langage des héros. Comme les Spartiates, il pensait que les murailles ne sont rien par elles-mêmes : « Les hommes, dit-il, sont le meilleur rempart de la cité. » Il avait dit avant Eschyle : « Des emblèmes sur des bou-

  1. L’ode XXXVII du livre I, Nune est bibendum.