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SUITE DE LA POÉSIE ÉLÉGIAQUE.


Caractère politique des poésies de Théognis.


Théognis ne tarit pas en invectives contre les hommes du parti populaire. Même dans les endroits où il a l’air de n’adresser à ses amis que des leçons de morale, on sent percer la rancune politique. Les méchants (κακοί) et les lâches (δειλοί), dont il parle sans cesse, ne sont pas ceux qu’on appelle ainsi dans tous les temps et dans tous les lieux. Il gratifie indistinctement de ces noms tout ce qui n’est pas de la race antique, tout ce qui n’a ni traditions de famille ni richesses héréditaires. En revanche, les Doriens, la vieille aristocratie, ce sont les bons (άγαθοί), les braves (έσθλοί) : le poëte leur prodigue les belles épithètes avec autant de libéralité qu’il prodigue aux autres les qualifications injurieuses.

Théognis s’adresse ordinairement à Cyrnus, fils de Polypas, et quelquefois à d’autres personnages, à Simonide, à Onomacritus, à Cléariste, à Démoclès, à Démonax, à Timagoras. Cyrnus est un jeune homme, auquel le poëte parle d’un ton paternel, et qu’il veut pénétrer de ses idées politiques et morales. Les autres sont des amis, des compagnons de plaisirs, avec lesquels il se déride, et qu’il entretient de sujets moins sérieux. Ainsi il recommande à Simonide de laisser aux convives une parfaite liberté ; de ne pas retenir qui veut quitter le banquet ; de ne pas éveiller le buveur qui s’est endormi trop bien cuirassé de vin. La partie enjouée du poëme est du temps sans doute où Théognis vivait dans la maison de ses pères, où le gouvernement de Mégare allait à son gré, et où florissaient dans la ville ces associations d’amis, ces phidities, comme disaient les Doriens, où l’on passait de longues heures à boire et à deviser agréablement.

Dès les premiers vers que Théognis adresse à Cyrnus, on aperçoit, au contraire, je ne sais quelle disposition d’esprit atrabilaire et misanthropique. La ruine de l’aristocratie mégarienne n’est point encore consommée, mais elle se prépare : les méchants et les bons sont déjà en lutte. Bientôt le tyran va apparaître. La ville est en travail, comme dit Théognis, et il est à craindre qu’elle n’enfante son fléau. Malgré les vœux