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CHAPITRE VIII.

ajoute : « Que la mort ne me vienne pas sans faire verser des larmes ; que je laisse à mes amis après moi des regrets et des gémissements. » La façon dont il invite Mimnerme à changer son mot sexagénaire indique assez clairement qu’il s’adressait à un vivant en état de déférer à son désir, et non point à un habitant du royaume des ombres.


Solon.


Le contradicteur de Mimnerme était loin pourtant d’être antipathique à la poésie de l’amour et du plaisir. Solon n’était pas seulement un homme d’un esprit droit, résolu, ferme en ses desseins, un politique consommé, un législateur incomparable ; c’était aussi le plus bienveillant et le plus aimable des hommes. Il ne cessa jamais de sacrifier aux Grâces. Jusque dans sa vieillesse, il disait encore : « Ce que j’aime aujourd’hui, ce sont les dons de Cypris, de Bacchus et des Muses ; c’est là ce qui fait le bonheur des mortels. » Il n’était pas insensible aux jouissances de la vie ; mais il n’en faisait pas, comme le poëte ionien, le but unique et suprême. Aussi bien il vivait dans un pays où un homme de génie n’était pas condamné à prêcher l’indolence. Solon aimait à se récréer ; mais c’était dans ses instants de loisir. Il fit quelquefois des vers par passe-temps ; mais presque toujours l’utile y était mêlé à l’agréable. En général, la poésie fut entre ses mains un instrument au service des plus nobles pensées. Elle était pour lui, si je puis dire, le complément de l’éloquence politique. Il alla même une fois jusqu’à déclamer sur la place publique une de ses élégies, en guise de discours. Il est vrai qu’il n’eût pas osé ni même pu, ce jour-là, haranguer en prose sur le sujet dont il voulait entretenir les Athéniens.


La Salamine.


C’était en l’an 604 avant notre ère. « Les Athéniens, dit Plutarque dans la Vie de Solon, fatigués de la longue guerre qu’ils avaient faite sans succès contre les Mégariens pour leur reprendre l’île de Salamine, avaient défendu par un décret,