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CHAPITRE VI.

monde, Proserpine doit passer alternativement les deux tiers de l’année avec sa mère, et l’autre tiers avec son époux. Cérès, revenue à la joie et au bonheur, enseigne aux Eleusiniens, en retour de leur hospitalité, les cérémonies sacrées de ses mystères.

Une telle légende était assurément de nature à toucher une âme de croyant. Le poëte souffre de la douleur de Cérès. Voici en quels termes il peint l’entrée de la déesse, déguisée en vieille femme, dans le palais de Céléus : « Cérès, la déesse des saisons et des riches présents, ne veut point s’asseoir sur le siège brillant qu’on lui offre. Elle reste silencieuse, et elle tient ses beaux yeux baissés. Mais la sage lambé lui apporte un siège de bois, qu’elle recouvre d’une blanche peau de brebis. Cérès s’y assied, et de ses mains elle ramène son voile sur son visage. Longtemps elle resta sur le siège, tout entière à sa douleur, sans prononcer un mot, sans s’adresser à personne ni de la voix ni du geste : elle était là immobile, affligée, oubliant le manger et le boire, et consumée du désir de revoir sa fille[1]. » L’entrevue de la mère et de la fille, devant le temple d’Éleusis, était un tableau saisissant, tout plein de vivacité et de grâce ; mais les traits en ont été en partie effacés par le temps. Sous les mots mutilés qui restent, on voit pourtant resplendir encore quelque chose de l’antique beauté. Je n’ajoute rien ; je me borne à transcrire : « Mercure arrête le char devant le temple odorant de sacrifices, où habitait Cérès à la belle couronne. Dès qu’elle a vu sa fille, elle s’est élancée, comme une ménade à travers la montagne ombragée de forêts. Proserpine, à son tour… vers sa mère… elle saute du char, elle court… La mère… mais… Mon enfant ! etc.[2]. » Il est bien regrettable que l’Hymne à Cérès ne nous soit point parvenu complet. Il y a d’autres lacunes encore, et de bien plus considérables, dans cet ouvrage, une des plus riches pièces du trésor poétique des anciens âges.

  1. Hymne à Cérès, vers 192 et suivants.
  2. Hymne à Cérès, vers 385 et suivants.