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CHAPITRE VI.

les rhapsodes des proèmes, des poëtes de rencontre, dont tout l’effort aboutissait à une ou deux douzaines de vers, pillés d’ici et de là peut-être. C’étaient de vrais fils de la Muse ; c’étaient des hommes de la race de ceux qui forment le premier anneau de la chaîne dont parle Platon.


Hymne à Apollon Délien.


Thucydide a pu, sans se faire tort auprès des gens de goût, croire à l’authenticité de l’Hymne à Apollon Délien, et en citer, sous le nom d’Homère, d’assez longs passages. Cet hymne n’est pas trop indigne, par la pensée et par le style, de l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée. Je n’hésite pourtant pas à nier qu’Homère en soit l’auteur. On y fait paraître Homère, et l’on met l’hymne dans sa bouche ; mais c’est par un artifice littéraire du genre de celui d’André Chénier dans sa fameuse élégie. Je l’affirme à cause surtout de l’allocution aux jeunes filles de Délos : « Souvenez-vous de moi dans l’avenir ; et, si jamais, abordant en ces lieux, quelque étranger, quelque aventureux voyageur vous demande : « Jeunes filles, quel est le plus harmonieux des aèdes qui fréquentent cette île, celui dont les chants vous charment davantage ? » répondez unanimement ces mots de bienveillance : « C’est un homme aveugle, qui habite dans la montagneuse Chios ; tous ses chants jouissent pour jamais d’un renom incomparable[1]. Homère n’a jamais tenu un pareil langage. L’auteur de l’hymne, quelque Homéride de Chios probablement, entraîné par l’admiration, fait dire à Homère ce que lui-même il pense, ce qu’il crierait aux quatre coins du monde. Quelques-uns ont attribué ce morceau poétique à Cynéthus, le plus célèbre des Homérides dont le nom nous ait été transmis. Mais cette opinion n’est guère probable, si ce rhapsode vivait, comme on le pense communément, à l’époque de Pindare et d’Eschyle, c’est-à-dire assez peu d’années avant Thucydide.

L’ouvrage est incomplet. Il y manque, selon toute appa-

  1. Hymne à Apollon Délien, vers 166 et suivants.