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CHAPITRE V.

hommes, et que la Justice est assise à côté du maître des dieux. Il faut donc pratiquer la vertu, et chercher dans le travail seul cette richesse où le méchant n’arrive pas toujours, et qui n’est entre ses mains que remords et misère.

Hésiode se complaît dans les hautes régions de la pensée. Il s’arrête avec une sorte d’amour sur ces principes moraux sans lesquels la vie humaine manque de règle, de sens même et de dignité ; et c’est avec une puissante abondance d’images, une force de paroles sans cesse ravivée, qu’il tâche de faire impression sur l’âme de Persès. Ce n’est guère que vers le milieu du poëme qu’il commence à décrire les travaux auxquels il invite son frère à se livrer. Il parcourt ensuite à grands pas le cercle des occupations rurales. Cette partie du poëme n’est pas indigne de la première. Hésiode ne s’en tient pas à d’arides préceptes ou à des descriptions techniques. En face de la nature, il oublie plus d’une fois les formules didactiques, pour retracer les tableaux sombres ou gracieux qui s’offrent à ses regards. Il ne se borne point à dire, par exemple, que l’homme laborieux sait accroître son bien, même durant l’hiver, ou qu’il faut, dès la belle saison, répéter à ses serviteurs que l’été ne durera pas toujours. Il peint les rudes hivers des montagnes de la Béotie : « Précautionne-toi contre le mois Lénéon, contre ces jours mauvais, tous funestes aux bœufs, contre ces tristes frimas qui s’étendent sur la campagne au souffle de Borée, quand il s’élance à travers la Thrace nourrice des chevaux, et qu’il soulève les flots de la vaste mer. La terre et les forêts mugissent. Déchaîné sur la terre féconde, le vent renverse en foule, dans les gorges de la montagne, les chênes à la haute chevelure et les sapins énormes, en faisant crier, dans toute leur étendue, les immenses forêts. Les bêtes sauvages frissonnent, et ramènent leur queue sous leur ventre, même celles dont la peau est le plus velue : oui, malgré l’épaisseur des poils qui couvrent leur poitrine, le vent les pénètre de sa froidure. Il passe sans obstacle à travers le cuir du bœuf ; il pénètre la chèvre aux longues soies : quant aux brebis, leur toison annuelle les garantit contre les assauts de Borée. Le froid courbe le