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CHAPITRE V. HÉSIODE.

Mais cette vague indication laisse un large champ aux conjectures chronologiques ; et, quoique Hésiode parle en passant de la guerre de Troie comme d’un événement ancien, il reste toujours un espace de plusieurs siècles à travers lequel flotte son existence, portée par les uns jusque vers les confins de l’âge héroïque, ramenée par les autres jusque vers l’époque des Olympiades.

Plusieurs prétendent tirer de l’examen de ses ouvrages la preuve qu’il a vécu avant Homère. La langue d’Hésiode est marquée, disent-ils, d’un caractère particulier d’archaïsme ; l’ionien épique s’y trouve mêlé d’éolismes plus fréquents que chez Homère, et les règles même de la quantité ont subi, dans plus d’un vers d’Hésiode, l’influence de la prononciation éolienne. Mais il suffit, pour rendre raison de ces faits, de considérer qu’Hésiode était Éolien, et qu’il a chanté en Béotie, c’est-à-dire au centre même des contrées occupées par les populations éoliennes. La mythologie d’Hésiode, dont on argumente aussi, se rapproche, il est vrai, plus que celle d’Homère, de l’antique religion de la nature. Mais Hésiode, qui compilait, dans sa Théogonie, une sorte de code religieux, a dû recueillir de préférence les symboles les plus clairs, les mythes qui servaient le mieux à son dessein théologique. C’est en remontant aux traditions les plus anciennes, c’est en se rapprochant de la source populaire des inventions religieuses, qu’il a retrouvé la plupart de ces dieux qui ne sont pas connus d’Homère, ou que du moins Homère n’a pas mentionnés. Les conformités d’Hésiode avec Homère ne prouvent pas davantage qu’Hésiode ait rien emprunté au poëte ionien, et qu’il puisse être compté parmi ses successeurs ou ses disciples. Ce qu’ils ont de commun le dialecte épique, les expressions proverbiales, les épithètes appliquées à quelques noms, certaines fins de vers, certaines formules, enfin le mètre poétique, ils l’ont reçu l’un et l’autre des aèdes. Hésiode ne doit rien à Homère. Il a vécu avant Homère peut-être ; peut-être a-t-il vécu après lui : nul ne saurait rien affirmer de positif à ce sujet. Je remarque seulement que la tradition la plus accréditée chez les anciens le faisait contemporain du chantre d’Achille.