Page:Pierre de Coubertin Souvenirs d Oxford et de Cambridge 1887.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
souvenirs d’oxford et de cambridge

spectateurs qui bordent le théâtre du combat font entendre de temps à autre des clameurs d’encouragement « Well played ! Exeterrr Well played, Oriiiiiel[1], et des salves d’applaudissements accueillent les hauts faits.

En revenant, nous sommes entrés au musical-club, qui est bien aménagé : il y a séance une fois par semaine ; on ne se borne pas à jouer du piano, on exécute des quatuors d’instruments, on chante des chœurs ; les bonnes volontés se groupent d’elles-mêmes, et tout cela s’organise sans difficultés. La salle est grande, dénuée de luxe, mais on y trouve un mobilier confortable, des journaux, un choix de liqueurs pour les grogs et un grand piano à queue.

Le joli appartement de C*** est très illuminé ; l’eau pour le thé fait entendre la petite chanson chère aux oreilles britanniques, et les fauteuils se peuplent de jeunes gens qui entrent en disant good evening, ou en entamant directement la conversation : on ne tend point la main. C’est du temps perdu entre gens qui demeure si près les uns des autres et se voient si souvent. Mais les portes restent toujours ouvertes, et l’on pénètre les uns chez les autres avec une liberté fraternelle qui ne dégénère pas en indiscrétion. L’un des visiteurs apparaît dans le singulier costume ci-dessus décrit ; il enlève son uslter et s’effondre sur un sopha ; il bredouille en parlant, tellement il est encore hors de lui des suites du foot-ball, ce qui ne l’empêche pas de s’ingurgiter une tranche colossale de plumcake, capable d’en réduire un autre au silence éternel ; ce n’est pas pour rien que l’aimable M. Waldstein appelait ces gâteaux du nom pittoresque de sudden death[2]. Entre temps, j’examine l’ameublement, les tableaux, gravures, bibelots, étoffes indiennes semées partout avec un à-propos qui surprendrait certaines Parisiennes. On fait de la musique ; la musique est ici de toutes les réunions, et la vraie, la sérieuse : Wagner, Raff, Beethoven et surtout Schumann et Chopin sont les auteurs préférés. C*** déchiffre à quatre mains avec un camarade : les conversations continuent par bribes : il est agréable de causer en musique ; le ton dans toutes ces réunions est très gai, cheerful ; les sujets sont ceux de la vie quotidienne ; rien de malsain.

Dîner à Christ Church, dans le hall, sous les yeux d’Henri viii, d’Élisabeth et du cardinal Wolsey qui fonda le collège en 1525 : un éblouissant cordon de gaz court à la hauteur des fenêtres au-dessus des boiseries. Le hall est presque aussi beau que celui de Trinity, à Cambridge ; mais les domestiques ne sont pas en livrée ; peut-être

  1. Bien joué Exeter ! bien joué, Oriel.
  2. Mort subite.