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souvenirs d’oxford et de cambridge

« S’il s’agissait d’autres que d’Irlandais, a dit un tory, on les forcerait d’obéir aux lois existantes, et l’on n’appellerait pas cela faire de la coercion : pourquoi cela prend-il ce nom quand il s’agit de l’Irlande ? — Il y a des lois ; changez-les si le pays le veut : c’est bien. Mais jusque-là il faut qu’on obéisse à celles qui existent. » — C’est du simple bon sens et cela a produit un certain effet. En résumé, tout le contraire des Français qui commencent par faire des phrases et en avançant en âge arrivent à leur donner un sens : ici l’idée vient en première ligne, l’expression ensuite : le moyen passe après le but.

Comme je m’en reviens assez tard, j’aperçois au fond de la cour de Saint-John les fenêtres du hall brillamment illuminées ; les vieux personnages flamboient sur un fonds de fournaise… quelques accords s’en viennent jusqu’à la rue, où s’arrête en ce moment un antique véhicule sonnant la ferraille et ressemblant bien vaguement à une calèche : de là descendent deux dames en toilettes claires, enveloppées dans leurs sorties de bal, des fleurs et des diamants dans les cheveux… sur le perron un jeune homme en habit noir les attend !

… La fête durera peut-être fort avant dans la nuit et à l’aube naissante, dans Cambridge endormie, toutes les figures de pierre, dont plusieurs se souviennent sans doute d’avoir vu passer la cour d’Henri viii, discoureront en soupirant sur les modes nouvelles !


iii

Oxford, novembre 1886.

Le rideau se lève sur un décor déjà vu : mais le bon Dieu n’a pas besoin de changer les décors, il se contente de modifier l’éclairage et produit ainsi des effets suffisamment variés. Plus de ciel bleu ni de teintes chaudes : c’est le vrai moment de reporter les regards vers le coin du feu et de faire des études d’intérieur ; et si nous allons commencer par nous promener c’est histoire de gagner de l’appétit pour le luncheon que mon ami M. Lynch commande en passant. La cuisine de Christ-church-college est voûtée et immense : on y voit dès l’abord tant de broches, d’instruments noirs, de chaînes, de fourneaux… qu’on se prend à songer aux salles de torture de la sainte inquisition, et les blancs cuisiniers qui se meuvent au milieu de ces choses sombres, ce sont les aides du bourreau… le bourreau lui-même est dans une petite cabane vitrée où il s’occupe à feuilleter de gros registres, et nous n’avons pas trop de nos trois imaginations pour arrêter les raffinements d’un supplice