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souvenirs d’oxford et de cambridge

leurs jeux pour regarder curieusement qui passe sur la route ; on voit leurs petites têtes sérieuses sortir d’une herbe épaisse et touffue toute parsemée de fleurettes blanches et dans laquelle ils se vautrent délicieusement. Le village se nomme Maddingly : en face, sur une hauteur, une grande habitation : c’est là que résidait le prince de Galles, quand il étudiait à l’université, dont alors son père était chancelier. La colline gravie on retrouve la contrée un peu plate et uniforme, mais fraîche et aérée, qui entoure Cambridge, dont les campaniles se dressent au loin dans une brume bleuâtre.

Passe un jeune homme sur un cheval gris pommelé, suivi d’un chien ; il se promène pour se reposer du tennis : il a encore ses souliers de caoutchouc et son chapeau de paille. Au loin Girton college flamboie sous un rayon oblique du soleil couchant et dans les bois de Maddingly, les ombres s’allongent sur les prairies.

Luncheon à une heure et demie chez le comte ***, étudiant de troisième année à Trinity. — Le comte a infiniment de choses intéressantes dans son salon : d’abord beaucoup de photographies des pays les plus lointains, car si jeune qu’il soit, il a déjà fait le tour du monde, visité les Indes, l’Amérique et le Japon : sur une vitre, il me montre une imperceptible signature, — Edward, — tracée à la pointe d’un diamant par la main du prince Albert-Victor de Galles : le futur roi d’Angleterre a gravé là le souvenir de son récent passage à l’université. — Mon hôte est représenté au milieu d’un groupe de ses amis, en jockey, avec la culotte blanche et la chemise de soie rayée : mais le sport n’est pas sa seule occupation à en juger par le bureau surchargé de livres et de papiers qu’il a quitté pour me recevoir : on lui sait d’ailleurs un talent d’orateur naissant, et sans doute il ne passera pas beaucoup d’eau sous les ponts de la Cam, avant qu’il ne prenne place à la Chambre des communes. Le repas est très élégant et bien servi : le comte a invité la mère et la sœur d’un de ses camarades, qui sont ici en passant : une jeune fille chez un célibataire ! Mœurs françaises, où êtes-vous ?

L’office du dimanche soir se célèbre dans les collèges avec une grande solennité : M. Stanford, organiste de Trinity et compositeur dont l’Irlande est fière, s’élève avec moi jusqu’aux hauteurs qu’habite son bel instrument, pendant que dans la nef les surplis de chœur s’avancent en procession : étudiants, scholars, fellows, tous ont revêtu le même costume ecclésiastique : les hauts dignitaires ont en outre sur les épaules une écharpe bordée d’hermine. On chante les psaumes sur des motifs que leur richesse empêche d’être mono-