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souvenirs d’oxford et de cambridge


tres très rapprochés les uns des autres et des étudiants libres de sortir s’ils en ont besoin… comme cela ne se fait pas en Sorbonne. J’exprimais à mon guide des doutes relativement aux textes cachés qu’on va consulter au cabinet ; il m’a dit en haussant les épaules : « Ça les regarde ! S’ils veulent tricher et prendre la responsabilité d’une si honteuse action, on ne peut les en empêcher. » Sans doute que l’opinion ferait justice des coupables, et puis la manière dont sont posées les questions prête peu à ce genre de fraude.

King’s college a cela de spécial qu’il ne contient pas de pollmen, mais seulement des candidats aux honneurs. Le nombre de ses étudiants est, par conséquent, assez restreint, et il en résulte un caractère tout particulier de gravité et de majesté. Le hall est petit, mais fort curieux ; la chapelle, une merveille de l’art gothique anglais ; King’s fut intimement relié à l’École d’Eton, près Windsor par Henri vi, leur commun fondateur, et, longtemps, on n’y reçut que des etonians. Encore à présent, les scholarships leur sont réservées.

M. Waldstein, l’éminent archéologue bien connu, qui réside à King’s s’est aimablement offert à me montrer le Fitzwilliam museum, dont il est directeur. C’est un bel édifice du style grec, renfermant la galerie de tableaux, la bibliothèque et les objets d’art que le vicomte Fitzwilliam a légués à l’université. L’escalier-vestibule qui donne accès au musée est tout de marbre et d’or.

La collection contient de beaux spécimens de toutes les écoles. J’admire une suite d’aquarelles de Turner, le peintre anglais tant célébré par ses compatriotes. Incontestablement, il a d’éminents mérites de coloriste, mais ce devait être un homme sans suite dans l’idée, habile, surtout, à fixer les fugitives impressions du moment ; ses aquarelles ont ce caractère d’imprévu et d’instantané ; ce sont des notes prises en passant, et si justes, que, en ne les regardant pas de tout près, on croit voir des détails qui ne sont pas sur la peinture. Il y en a une de Venise, réussie au point que deux traits et deux touches suffisent à rendre le paysage entier !

M. Waldstein, qui m’a aussi fait visiter le petit amphithéâtre dans lequel il donne ses leçons, me montre à présent… une très jolie jument avec laquelle il va aller se promener : il monte beaucoup en chasse l’hiver, chez des amis d’Irlande, et a même couru en steeple incognito ! Il m’avait défendu de le dire, parce que ce n’est point d’un « professeur sérieux ». Mais il me pardonnera ma désobéissance, car je n’ai en vue que le bien de ses collègues de France, parmi lesquels je voudrais que ce sportsman, aussi aimable que savant, fît école ; l’archéologie s’en trouverait fort bien ; cela lui donnerait beaucoup de relief.