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souvenirs d’oxford et de cambridge


reviennent du tennis en vrais costumes d’arlequin : pantalons de flanelle blanche, vestes de même étoffe, rayée en couleurs éclatantes, chapeaux de paille à rubans assortis ; ils marchent sans bruit, avec leurs souliers de caoutchouc, s’appellent, flânent, entrent dans les boutiques. D’autres, par escouades, débouchent dans une direction opposée : ce sont les oarsmen[1], en assez piteux état, ceux-là, tout en nage, avec des vêtements de travail, tachés d’eau ; ils n’ont de propre que la veste blanche galonnée aux couleurs du collège, avec l’écusson brodé sur la poche : tous les équipages sont là : il y a le croissant noir de Trinity Hall, le lion bleu d’Emmanuel College et les trois roses de King’s.

Cependant le carillon de Sainte-Marie la Grande, dont la tour carrée s’élève en face du palais sénatorial, annonce sept heures, et bientôt les cloches des collèges se mettent en branle ; nouvelle procession et apparition des manteaux noirs et des toques plates : vieilles reliques qui sentent la basoche et constituent ici le costume de cérémonie. Il arrive encore des retardataires qui se trouvent bien dans leur tenue de sport et, pour y rester, s’en vont au restaurant : on ne les force point de dîner dans les halls ; mais, présents ou non, ils payent le repas, ce qui est un argument en sa faveur.

En allant dîner à Trinity, je croise un élégant qui se rend à quelque invitation particulière ; deux diamants pour boutons de chemise et une rose au revers de l’habit ; le cap and gown réglementaire fait là-dessus le plus singulier effet. Dans le hall, une rangée de domestiques très corrects ; au fond, sur l’estrade, deux tables transversales pour les maîtres, les fellows et leurs invités. Autrefois les étudiants nobles y prenaient place aussi, mais ce privilège n’a été maintenu que pour les princes du sang. Je m’assieds à l’ombre des armes d’Angleterre sculptées dans la boiserie, et sous le regard du grand William Pitt, dont le portrait occupe la place d’honneur parmi les personnages qui décorent la salle. Autour de moi, il y a quelques vieux professeurs à la mode de nos facultés, mais la plupart sont des hommes vigoureux qui ont dû beaucoup aimer le cricket ; les étudiants, dont le menu est un peu différent, dînent rapidement ; d’autres leur succèdent, que nous laissons à table en nous retirant ; c’est une fournée de sportsmen attardés.

On s’est ensuite rendu dans la Combination-room, grand salon de réception orné de portraits et de rideaux de velours à crépine d’or ; chacun s’est installé à grignoter des petits gâteaux secs, tandis que quatre flacons de vin circulaient lentement. Quand ils ont eu accompli leur quatrième tour, le vice-maître a ramassé à

  1. Rameurs.