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universités transatlantiques.

fûmes prisonniers de la vague et du vent ; vous souvenez-vous avec quelle anxiété nous venions, à chaque midi, contrôler sur la carte la marche du navire ? Un petit drapeau de carton indiquait sa position dans l’immensité et, peu à peu, les petits drapeaux formaient une ligne, la ligne audacieuse tracée jadis par Colomb. Avez-vous encore dans l’oreille la voix de la lugubre sirène perçant le brouillard ? ou le son de la cloche guillerette qui, cinq fois par vingt-quatre heures, nous appelait à des repas dignes de Gargantua ? Entendez-vous, dans la nuit, sur les flots calmés qu’irise la lune, les chants poétiques des émigrants, encore tout pleins d’illusions et d’espérances folles, bientôt déçues, hélas ! Nous aussi, nous rêvions de pays merveilleux et de paysages enchantés, dans ces interminables assoupissements de l’après-midi, sur le pont, avec l’horizon libre, l’atmosphère indéfinie et le rythme des lames.

Nos siestes étaient troublées par une famille anglaise qui passait son existence dans huit fauteuils à l’abri du canot du commandant. Elle semblait terrassée par le mal de mer et ses