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le mouvement universitaire aux états-unis.

sède une salle des séances dont notre conférence Molé serait, certes, bien fière. De bonne heure les étudiants américains aimèrent à se grouper en clubs et en sociétés pour écrire et parler. Ce n’est que depuis la guerre de Sécession que la passion de l’exercice physique s’est emparée d’eux. Ils menaient jusque-là une existence presque exclusivement cérébrale. Aussi leur « intellectualisme » avait-il atteint, aux approches de 1860, le niveau de celui qui a fleuri de nos jours en France ; il était même plus répandu et plus général. La mode fut alors d’avoir de longs cheveux et de porter les habits des ancêtres. On posait pour l’âme tourmentée. On affectait volontiers la névrose et les maux d’estomac. On avait l’humeur triste et le rêve sombre. Jouer au ballon, boxer ou courir un cross-country eût paru un déshonneur. Beaucoup faisaient de mauvais vers, mais la prose causait de pires ravages encore que la poésie, prose vide, filandreuse, toute en phrases et en formules, dont l’opinion s’était éprise et à laquelle la jeunesse s’entraînait avec ardeur. Quatre années d’une lutte gigantesque chassèrent ces miasmes. Quand la nation retrouva le calme et la paix, elle avait appris, comme par une formidable leçon de choses, la valeur de ces « qualités animales » si dédaignées la veille. Elle s’occupa aussitôt de les faire acquérir à ses fils. Ainsi qu’il arrive toujours, l’esprit en profita comme le corps. Les cerveaux s’éclaircirent de tout le sang qui afflua vers les muscles, et les sociétés littéraires et politiques ne perdirent rien au voisinage du gymnase ou de la salle d’armes. À Princeton, Whig hall ne