Page:Pierre de Coubertin - Souvenirs d Amerique et de Grece, 1897.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
souvenirs d’amérique et de grèce.

maçonnerie qui soutient le télescope géant dont sa libéralité a doté la science. On a beau dire que tous ces gens-là étaient des coureurs de dollars et qu’ils ont cherché à faire parler d’eux après leur mort. C’est une explication jalouse et sans portée. Pour se choisir de pareils tombeaux, il ne suffit pas d’être ambitieux.

viii

À cette heure-ci (il est tard, c’est le soir), San Francisco se repose des labeurs du jour. La ville chinoise a allumé ses lanternes et ouvert ses fumeries d’opium : les dormeurs en sont à la première période de leur silencieuse orgie ; un tapage bizarrement rythmé s’échappe des théâtres où les drames en huit soirées déroulent leurs complications enfantines. À l’Olympic Club, il y a concert et gymnastique. Les trapèzes vont et viennent au son des guitares, tandis que, dans la vaste piscine étincelante de lumière électrique, des nageurs attardés prennent leurs ébats. Au Bohemian Club, l’on joue, l’on cause et l’on rit entre artistes. Quatre ou cinq associations se donnent des banquets et savourent les mets les plus parisiens. Sur les hauteurs, les demeures des « millionnaires » sont discrètement éclairées. Dans la plaine, la lune effleure la blanche façade de la mission Dolores, l’humble église de pisé qui fut le berceau de cette métropole — et allonge quelques rayons timides sur la sombre carcasse d’un cuirassé géant, tout seul dans les chantiers déserts, sans équipage encore et sans canons.