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souvenirs d’amérique et de grèce.

L’eau vient de la montagne où sont aussi les vaqueros préposés à la garde des animaux. Vous irez les voir : ce sont de beaux gars mexicains, hardis cavaliers et joyeux chanteurs. Ils passent, là-haut, des nuits musicales, la guitare à la main, sous la surveillance d’un vieux patriarche qu’ils appellent « l’oncle » et dont ils suivent les instructions au pied de la lettre. Quand l’oncle est soûl, les vaqueros se grisent pour lui tenir compagnie. Ils ne parlent qu’espagnol et se marient entre eux. Ils descendent de temps en temps à Santa Barbara pour un grand bal qu’ils organisent et dans lequel ils exécutent, au travers des danses, mille tours d’adresse que leur suggère leur imagination fertile de séducteurs. Ils prennent aussi leur part du carnaval fleuri qui se déroule, une fois l’an, par les rues de la ville.

Cela, c’est tout ce qui reste de la vieille Californie mexicaine, échappée au joug des missions, non encore utilisée par l’industrieux Yankee, insouciante et frivole. En ce temps-là, comme aujourd’hui, la « bianca flores », la fleur d’amour, modeste et pâle, dont le nom revient si souvent dans les chansons des vaqueros, exhalait le long des sentiers son parfum pénétrant, les cri-cri jasaient aux approches de la nuit, les serpents à sonnettes sifflaient sous les herbes, et la houle balançait des bancs de varech, d’un varech très doré ; doré comme le sable de la plage. Et les yeux d’alors pas plus que les yeux d’aujourd’hui ne pouvaient, la nuit, fixer la lune, éblouissante comme un soleil dans cette atmosphère si pure !