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l’ouest américain.

grande courbe et que le nègre du Pulmann nous époussetait avec son petit plumeau, j’ai adressé la parole à mon voisin. Il regardait d’un air familier les toits de cette cité où j’allais passer vingt-quatre heures et où je sentais qu’était son home à lui ; cité quelconque, horriblement banale, avec ses trottoirs de bois, ses tramways, ses fils télégraphiques, ses saloons et ses banques. Je voulais le nom d’un hôtel ; le meilleur ne devait pas être fameux ; quand j’articulai ma question, il tourna la tête et m’observa en silence. Il ressemblait trait pour trait à l’oncle Sam, ce personnage traditionnel dont les caricatures et les nouvelles à la main redisent les réparties si pleines de rude franchise et de gros bon sens ; chapeau haut de forme posé un peu en arrière, barbe poivre et sel, très dure et taillée en pointe, et dans les yeux une étincelle de malice, à demi éteinte par je ne sais quelle raideur voulue, quelle indifférence hautaine. Je réitérai ma demande : j’étais étranger et je désirais connaître le meilleur hôtel Pouvait-il me l’indiquer ?… Non, il ne pouvait pas ; cela fut dit d’un ton si sec que je craignis de l’avoir froissé ; mais au bout d’un instant, radouci, il s’expliqua. Presque tous les hôtels étaient de premier ordre : on n’avait que l’embarras du choix ; ailleurs il pouvait y avoir plus de dorures, mais pour le confort, le vrai confort, ceux-ci étaient sans rivaux : et il me les énuméra complaisamment avec des mots louangeurs, concluant par ce refrain sempiternel : they are amongst the very best in the world : ils comptent parmi les premiers hôtels du monde. Et rien, rien n’eût pu ébranler,