Page:Pierre de Coubertin - Souvenirs d Amerique et de Grece, 1897.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
l’ouest américain.

larité sèche des constructions, la monotonie des clôtures en fil de fer donnent une impression de labeur désespéré. Des machines compliquées pour les semences et les récoltes dressent leurs longs bras, peinturlurés de rouge et de bleu ; elles sont laides déjà, chez nous, sous les tentes des comices agricoles : ici, dans cette nature sans fin, elles sont hideuses. Et soudain s’évoque par contraste l’image d’une ferme normande avec sa hétrée, ses pommiers, son toit de chaume, les roses trémières qui égayent le vieux seuil noirci, et le verjus au large feuillage qui court sur la façade claire.

L’Ouest ! Les Américains ont une façon de prononcer ce mot, qui éveille à la fois l’idée d’une région très vaste et d’un état de choses très primitif. Est-ce donc une région, ou bien un état de choses ? Quand ils en parlent, on entrevoit des solitudes sombres, des ouragans effroyables, des peuplades rouges qui scalpent les voyageurs, des citoyens masqués qui pendent, la nuit, les criminels aux branches des arbres, des villes boueuses, des cowboys avinés qui déchargent leurs armes dans les fenêtres des hôtels par manière de plaisanterie, des convois de Mormons plantant au bord d’un ruisseau leurs tentes polygames, des gentilshommes décavés devenus chasseurs d’antilopes, qui oublient, en fumant le calumet avec le Faucon Noir ou le Chien Tacheté, les soirées joyeuses du boulevard des Italiens. À travers cette société pittoresquement débraillée circulent Mme Mortimer, la pauvre diseuse de bonne aventure, le juge Hiram, qui s’emploie à réformer l’univers, Bob Wilson,