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chicago.

gouvernera la force morale, forte de sa faiblesse même.

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Voilà donc ce que l’Amérique est venue faire à Chicago : s’unifier ! Quel étrange caprice du destin l’a voulu ainsi et par quel contraste bien fait pour réjouir les philosophes, la nation s’est-elle fait sacrer dans une ville qui précisément n’est point unie et ne le sera jamais, qui n’est même pas une ville, mais une agglomération sans ciment, un damier humain ?

Chicago trompe le public : elle est toute en façades ; en façade sur le lac Michigan, le long duquel s’étalent son luxe, ses constructions géantes, l’interminable ruban de ses avenues rectilignes, et, en second plan, les grandes rues débordantes d’activité fébrile ; en façade aussi sur le monde auquel elle se présente comme l’incarnation du pays entier, de son génie entreprenant, de son goût pour la lutte âpre et les réactions de la vie.

Abandonnez la rive du lac, non pour pousser la pointe obligée vers les abattoirs dont l’ignominie affecte encore quelque grandeur, mais pour atteindre ces régions inconnues des touristes où les rues n’ont plus de trottoirs, où les maisons s’abaissent jusqu’à n’être plus que des cabanes, où les piétons hâves remplacent les hommes d’affaires congestionnés. Vous aurez alors conscience d’avoir franchi une frontière ; l’orgueil et la richesse sont demeurés bien loin derrière vous, et la misère suinte partout d’une façon lamentable et terrible. Nulle fermentation