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souvenirs d’amérique et de grèce.

balustres et des escaliers symétriques ; c’est une des nombreuses fautes de goût commises par l’architecte italien auquel l’impératrice a confié l’exécution de son projet. L’architecte n’a pas compris ; il s’est cru appelé à satisfaire la fantaisie luxueuse d’un gros négociant enrichi : il n’a pas vu que l’Αχιλλείον, pour répondre à sa destination, devait avoir la légèreté d’un rêve, la simplicité d’un tombeau, la grandeur d’une apothéose et le mystère d’un pèlerinage. Le palais est trop massif, trop carré, l’ornementation est tourmentée ; il y a de mesquins détails, et les allées du parc sont trop civilisées.

En bas, près de la mer, dans un endroit très solitaire et qu’assombrissent des arbres au feuillage touffu se dresse un dernier monument dédié à l’archiduc. Là, l’incognito est levé ; l’allégorie cesse ; ce n’est plus Achille, c’est le jeune prince envers qui le sort s’est montré cruel, puisque son caractère demeurera oublié et que ses œuvres ne vivront point. Son profil est sculpté dans un médaillon qui orne le piédestal d’une colonne brisée. Un génie ailé, l’étoile d’or au front, est assis sur le piédestal, le regard dur, le geste menaçant, dans une superbe attitude de reproche et de colère.

Il se fait tard. Le soleil va disparaître. Les montagnes s’enlèvent en silhouette noire sur le ciel incendié. La mer, très calme, est traversée par de longues zébrures irisées. La grève est dans l’ombre. L’ombre remonte dans les jardins, enveloppant le monument de l’archiduc et le temple de Heine. La haute terrasse est encore dans la région lumineuse et l’œil avide